Citations sur Au-delà des linceuls (9)
Il paraît qu'autre fois, les grenouilles avaient réellement existé. De nombreuses sources avait été détruites et celles qui demeuraient étaient sujettes à caution. Elles vivaient soi-disant entre l’air et l’eau, le jour, comme la nuit, emplissant les forêts de leur chant au cours de la saison nuptiale. Puis, disparues, disaient certains car trop sensibles aux rudesses de temps. Imaginaires, disaient d'autres. Certains allaient jusqu'à prétendre qu’à de rares équinoxes , il était possible de les voir tomber du ciel par pluies entières.
Dors, puisque quelque chose ou quelqu'un t'a déposé ici. Je veillerai sur toi ce soir. En retour, laisse- moi te regarder un peu, te questionner encore, comme je l' ai fait pour tous ceux que cette route a conduit dans ce bois. Tu n' es pas le premier à succomber à la fatigue du chemin. Qui suis-je ? Nulle importance. C' est dans le sommeil que les esprits viennent rendre visite aux mortels. Tu n' as rien à craindre. Demain, tu seras parti. Et je sais que là-bas, auprès de tes semblables, chaque jour sera cruel.
Incipit :
Déclaration constituante
Nous, membres du Conseil révolutionnaire, par la grâce des dieux, après l’appel unanime qui nous est adressé par les villes du pays et celles récemment conquises d’accepter la proclamation de l’Empire, nous déclarons que nous considérons comme un devoir envers le bien commun de donner suite à cet appel et d’établir la dignité impériale sur l’ensemble du territoire connu et nouvellement conquis.
"Felix ne vit rien qui puisse expliquer une telle panique, et se demandait si ces villageois n'étaient pas simplement devenus fous.
Edgar restait silencieux, concentré sur le chemin. Passé un croisement, au pied d'un cyprès centenaire, il laissa tomber une prophétie : "Un jour tu verras, dans la toute dernière rue de la dernière ville de ce monde, les habitants des maisons aux nombres pairs s'entretueront avec ceux des maisons aux nombres impairs. Ce sera l'ultime combat. La grande guerre des voisins. Après quoi, il n'y aura plus rien."
Au bout de ces routes se trouvaient des falaises dressées contre la mer. Un refuge isolé de la fureur du monde. Un havre où l’on ne connaissait pas la faim et où la vie, au-delà des linceuls, perdurerait longtemps encore.
Traqué, tu le seras toujours, Félix, et pour n'importe quelle raison, si tu restes dans ce pays. Suis-moi et nous serons bientôt libres.
Le vent soufflait légèrement, presque frais, presque doux. Félix aperçut pour la première fois les toits de la capitale et ses linceuls de coton vierge. Il reconnut très vite le Palais des Ombres, dressé devant eux.
Félix retourna dans sa chambre et attrapa sur l’étagère un vieux sachet en papier : le café laissé par Edgar. Il devait être là depuis un moment. Félix n’en buvait pas et préférait encore l’ersatz. Le café-nouveau, cultivé au sud de l’Empire, avait un goût acide que le sucre ne parvenait pas à couvrir.
Il inséra un jeton dans le boîtier métallique pour collecter sa ration d’eau. Il prit soin de fermer la bonde du lavabo, et ouvrit le robinet qui laissa échapper un étroit filet. La vanne se bloquerait au bout d’une quinzaine de secondes. Félix haïssait ce petit clic inquisiteur et il veillait toujours à arrêter l’écoulement une seconde avant son déclenchement.