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Critique de berni_29


♪ ♫ J'ai l'honneur de ne pas te demander ta main
Ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin ♫♪

Emma Woodhouse est belle, intelligente et riche. Elle n'a que vingt-et-un ans, un beau parti pourrait-on dire... Chut ! Vous n'allez pas commencer... Justement, c'est le sujet du roman.
Elle habite la belle demeure de Hartfield, près du gros bourg de Highbury, - vous voyez où c'est, avec son père âgé, hypocondriaque et veuf, qu'elle adore.
Emma Woodhouse est entourée d'amis et voisins fidèles, tel Mr Knightley, son meilleur ami de seize ans son ainé, propriétaire du riche domaine tout près de là. Il y a aussi son ancienne gouvernante, Miss Taylor, qui vient d'épouser un veuf fortuné, Mr Weston, et puis les Churchill dont le fils Franck vit à Enscombe dans le Yorkshire, mais qui rend visite très souvent à sa mère souffrante...
Emma, persuadée d'être à l'origine du mariage de Miss Taylor et d'avoir des talents d'entremetteuse, décide alors, pour occuper sa solitude, de faire épouser les autres...
Bon, vous remarquerez qu'il n'y a rien de très..., - comment dire les choses de manière élégante et mesurée, rien de très excitant dirons-nous.

Ici c'est une écriture du quotidien qui prévaut, où, a priori, il ne se passe pas grand-chose.
Ainsi, le fait pour une jeune fille d'aller porter une lettre à la poste un jour de pluie devient un événement important, une aventure presque... C'est dire...
Le véritable souci des héroïnes de Jane Austen, - je parle sous votre contrôle car ce n'est que le quatrième roman que je lis de cette autrice, est de trouver le véritable amour, pour elles-mêmes, mais aussi pour les autres. C'est donc ici le cas d'Emma qui se découvre donc des talents d'entremetteuse...
De ce talent qu'elle souhaite cultiver, elle voudrait en faire comme une oeuvre d'elle-même, comme un art, rien de moins... Peut-être qu'elle s'ennuie aussi, pour tout vous dire.
Le jeu du mariage devient presque pour Emma alors un divertissement, une diversion à l'ennui.

Cette fameuse Emma, j'ai commencé tout d'abord par la trouver insupportable. C'est vrai, non ? Elle veut tout régenter autour d'elle, à commencer par vouloir marier tout un chacun.
Alors, elle régente, a le goût de régenter tout le monde, dans sa manière de vouloir préparer des mariages. Elle voudrait réussir le mariage d'une autre, sa toute nouvelle protégée par exemple, la jeune et jolie Harriet Smith, de l'éloigner d'un amour sincère et spontané qu'elle a, pour essayer de la réorienter d'ailleurs de manière assez calamiteuse vers un autre amour...
Harriet, détournée de cet amour sincère et partagée, ses rêves alors ont été brisés. Elle pourrait ne jamais s'en relever... Mais ici le roman ne bifurque pas vers la tragédie, je vous rassure...
Emma ne comprend pas comment elle a pu manquer autant de discernement.
Elle n'a pourtant que vingt-et-un ans et on pourrait penser qu'il serait raisonné qu'elle agisse d'abord pour son propre bonheur, ou du moins pour sa propre destinée...
Elle ne va pas rester sur cet échec...
Elle n'a que ça en tête, le mariage des autres... Les voisins, les amis, tout son entourage... Cela devient compulsif chez elle... Elle songe déjà aux mariages de ses neveux et nièces qui ne sont pas encore nés. On l'écouterait, elle marierait les moutons, les poules, même les insectes alentours tant qu'à faire, si elle le pouvait...
Pourtant Emma est très intelligente, d'une intelligence qui confère presque à la manipulation. Elle oriente, elle détourne...
Mais voilà, Emma n'a que faire du mariage lorsqu'il s'agit d'elle bien sûr. Elle est sous contrôle d'elle-même, en permanence.
« Faites ce que je dis, pas ce que je fais. »
L'amour impliquerait-t-il une perte de contrôle, et si oui, vaut-il la peine d'être vécu, au risque d'y perdre son confort et sa tranquillité ? Ce sont les questions qu'Emma va se poser tout au fil de ce très long roman.
Se marier est-il la meilleure façon de trouver l'amour ? Dans l'univers de Jane Austen, les mariages sont souvent des mariages de raison, ou dit autrement : des mariages d'intérêt.
Mais pourquoi diable Emma Woodhouse se marierait-elle alors ? Elle ne manque pas d'argent, elle est très intelligente, adore son confort, elle a tout ce qu'il faut pour être heureuse. Elle serait alors bien sotte de s'encombrer d'un mari, non ?
Ne dit-elle pas d'ailleurs : « C'est seulement le manque d'argent qui rend le célibat méprisable aux yeux d'un généreux public. »
Elle est très aimée par son père, un père très indulgent. D'ailleurs, ils se ressemblent tous deux. J'ai trouvé qu'il y avait un lien entre l'hypocondrie du père qui cherche à se protéger des microbes de la vie et la manière dont sa fille Emma ne cherche quant à elle qu'à se protéger du sentiment amoureux, comme si c'était là aussi une maladie... Étrange, non ?
Pour Emma, un bon mariage, n'est pas un mariage guidé par la passion.
Ce roman serait-il alors un plaidoyer pour le célibat ?
Emma ne voit rien ne se qui se passe autour d'elle, car sa vanité l'aveugle. Jane Austen la montre pleine de mauvaise foi, elle voudrait tout contrôler et finalement se trompe, s'égare, reconnaît ses erreurs. C'est là que j'ai fini par la trouver attachante...
On s'aperçoit alors qu'elle était sûre d'elle, les stratégies qu'elle avait échafaudées au tout départ ne fonctionnent pas bien, on la croyait très perspicace, elle se trompe sur beaucoup de choses...
Et puis ça se passe presque comme dans un roman policier, on distingue des signes qu'Emma ne voit pas du tout.
En dépit de la manière dont Emma essaie de se tenir hors-jeu, à distance, de se protéger du sentiment amoureux, j'ai été séduit par la manière dont elle s'égare, se trompe... Et c'est comme cela aussi que sa propre histoire se construit... Devient belle... Et fait d'Emma un magnifique personnage de femme indépendante.
Alors, me direz-vous, à quel endroit ai-je commencé à me passionner pour Emma ? Oh la la ! Attention, doucement les amis, pas de passion chez Emma... Mais pourquoi ai-je dis ce mot ? Je vais y venir.
Emma ne va pas rester indemne de tout cela, contrairement à ce qu'elle croit.
Cette peur d'être troublée, d'être atteinte par la passion, d'être touchée par l'idiotie des amoureuses qu'elle côtoie, - tiens, comme Harriet, et qui deviennent bêtement fétichistes... Emma se préserve de tout cela. Veut à toutes forces échapper à cela...
Pourtant, ce n'est pas le manque de passion qui anime Emma, mais plutôt la manière dont elle contrôle ses passions.
Pourquoi ne me suis-je jamais ennuyé dans ce récit ?
C'est une comédie brillante, on est confronté en permanence au suspense, on échafaude des scénarios qui changent sans arrêt.
À un moment donné, toutes les combinaisons apparaissent possibles, probables, où tout pourrait arriver... Même Emma pourrait finalement ne jamais se tromper... Ou bien tomber amoureuse à son tour...
Derrière les apparences, c'est un roman ironique et grinçant, avec de la méchanceté sous la soie, les froufrous et les dorures, de la manipulation, des égarements, des erreurs...

Contrairement à d'autres héroïnes de la littérature classique, je ne tomberai pas amoureux d'Emma Woodhouse, je me mets en retrait pour laisser la place à qui vous savez ; cependant j'ai fini par m'y attacher et m'en faire une amie. N'est-ce pas l'essentiel ?

Et puis Emma à son tour va devenir l'arroseuse arrosée... N'est-ce pas magnifique ?
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