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Critique de 4bis


4bis
12 février 2024
Il fait gris au point que le soleil semble avoir oublié de se lever. Ca fait cinq fois que j'éternue, trois mouchoirs que je trempe et il n'est pas huit heures. Même les quatre tasses de maté bouillant ne m'auront pas rendu ma voix. Les premières gouttes tapent sur le carreau réduisant à néant mon projet de balade. La situation idéale : Toutes les raisons de ne pas sortir et un excellent bouquin ! Sans scrupule mais avec un frisson de plaisir, je suis retournée sous la couette, calée par de nombreux oreillers, laissant les heures dériver tandis que je dévorais ce roman sentimental intelligent.

Ecrit en 1924, Forte tête, titre original The Call, est un roman dit « de suffragette » et on peut penser que sa récente publication en France surfe sur la vague féministe du moment. Toutefois, le livre ne se réduit pas à cela.
Ursula est une jeune femme de très bonne famille dans l'Angleterre du début du 20e siècle. Elevée par des précepteurs, dans une relation distante mais pleine d'affection pour une mère qui joue habilement les têtes de linotte, elle a cultivé l'extravagante manie de faire des expériences de chimie dans le grenier de la grande demeure parentale. le roman commence donc par évoquer ses quelques incursions dans le monde scientifique et très masculin des conférences savantes. Par contraste, les attentes maternelles, toutes de mondanités, de fanfreluches et de soupirants rendent joyeux des dialogues piquants, pittoresque la construction de ce personnage qui n'a rien d'une virago.

Un professeur, joli garçon et mal marié, prend la belle Ursula sous sa protection paternelle et lui permet l'accès à un laboratoire de l'université. La réaction de son épouse aussi ignare que jalouse, ses propres tourments à lui, l'indifférence manifeste de notre jeune scientifique à tout ce qui ne concerne pas ses tubes à essai font la trame d'autant de scènes amusantes et esquissent des personnages plus épais que ce que leur rôle semble d'abord devoir supposer. On suit tout cela avec plaisir et un certain détachement amusé bien agréable à éprouver.

A cette première trame s'ajoutent d'autres rencontres, un amour partagé cette fois avec le beau Tony, l'imprégnation progressive de notre jeune héroïne aux enjeux du droit de vote pour les femmes. On y suit quelques téméraires suffragettes, avec le regard d'abord choqué de toute jeune fille de bonne famille, et petit à petit de plus en plus convaincu de la nécessité d'une démonstration de force. Ce que ces femmes ont accompli pendant ces années a tout du sacrifice à une cause plus grande.
Emprisonnements, grèves de la faim, opposition non violente : elles auront inventé mille stratagèmes pour contourner l'indifférence, l'hostilité opposées à leurs revendications. Notre Ursula en sera une des plus ferventes militantes, son coeur dût-il en souffrir. Et, quelques années après, la Grande guerre battra une nouvelle fois les cartes, rejouant alors d'autres thèmes connus du roman de guerre : l'enrôlement, la perspective du front, le travail des femmes aux arrières et tout le reste que je tais pour vous laisser un peu de suspense.

A chaque fois que je trouvais cette histoire un peu trop convenue, elle changeait de direction. A chaque fois que je regrettais la disparition expéditive d'un personnage ou sa réduction à une caricature élémentaire, je l'avais enterré ou catalogué trop vite.

Forte tête n'est pas un roman époustouflant. C'est une jolie et légère réflexion sur l'engagement, l'évolution des convictions, la force de ses désirs. C'est une histoire où les robes froufrouttent et où les jeunes filles ont de temps en temps les larmes aux yeux. On y boit du thé, on s'y promène le long des rivières, on s'y montre héroïque et tendre. On y respire un air délicieusement suranné. Avec beaucoup d'humour et de détermination, on y aura été à la hauteur de la situation et moi, j'en aurai été toute ragaillardie.

La pluie est passée, le temps serait presque printanier. La montagne de mouchoirs est proportionnelle à l'intensité du rouge qui entoure mon nez et toute la maison embaume la tisane. Mon temps n'aurait pas pu être mieux employé.
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