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Critique de Mespetitescritiqueslitteraires


Le 27 novembre 1967, à 15 heures, toute la famille est devant le poste de télévision pour regarder la conférence de presse du Général de Gaulle. A treize ans, il comprend qu'on peut avoir à quitter son pays natal, sa langue, sa maison. Bouleversé, il ne sait plus qui il est, d'où il vient ni même où il doit aller. Aucun enracinement n'est possible tant qu'il ne connaît pas les raisons qui ont poussé ses parents à fuir leur pays quelques années plus tôt.

"De quel pays sont-ils vraiment les patriotes?"

Le père, bien qu'investi politiquement (il est de toutes les manifestations), reste très évasif sur leurs origines et les raisons de leur départ. Un gouffre le sépare de son fils qui, lui, est né en France.

"Il cherche à savoir qui est ce vieux, où est ce mur, mais son père ne lui répond que du bout des lèvres et sans détail. Pourquoi ne pas m'expliquer? proteste-t-il. Parce que toi tu es né en France. [...] Alors pourquoi m'avoir emmené avec toi? insiste-t-il. Pour que tu voies. Que je voie quoi? Je ne sais pas, que tu voies."

La mère, quant à elle, affronte cet exil drapée dans son rêve hollywoodien. Elle ne cesse de feuilleter ses catalogues Photoplay et commande les robes des stars de cinéma à sa voisine d'origine portugaise, Maria, couturière hors pair. Pour la mère, chaque année, chaque événement, lui rappellent un film, une actrice, une robe. Elle traverse les rues de ce nouveau pays comme une star monterait les marches d'un grand festival.

Lui est un jeune adolescent intelligent, à l'écoute, ouvert sur le monde, la politique et la culture. Il se met un point d'honneur à chercher dans son dictionnaire les mots employés par les journalistes ou les médecins qui suivent sa petite soeur atteinte d'une luxation congénitale de la hanche. Il sent bien qu'il est différent des autres. Sa mère ne cesse de regarder sa chevelure dense et crépue avec un air désapprobateur alors qu'elle passe avec ravissement ses doigts délicats dans les boucles soyeuses de Pepito, le fil de Maria, lui aussi enfant d'immigrés. Avec ce geste anodin en apparence, une jalousie mêlée de compétition s'immisce entre les deux amis.

Un soir, pendant que Maria crée une nouvelle robe à sa mère, il s'allonge près de Pepito, endormi. Derrière cette fine cloison qui le sépare des deux femmes, il tend l'oreille et découvre enfin ce qu'il s'est passé le jour du grand départ de ses parents. En interceptant ces confidences qui ne lui sont pas destinées, l'enfant reconstitue les menaces, les adieux, l'exil et recoud les différents pans de son histoire. Alors, de la manière la plus universelle qui soit, il décidera de ne jamais avoir à subir ce que ses parents ont subi :
"Après l'allemand, il apprendra l'anglais de Hollywood, l'italien de Flynn, le portugais de Pepito, qui l'immuniseront contre les microbes et les départs puisque les langues s'emportent, ne pèsent rien que les heures qu'on passe à les apprendre et qui se volatilisent sitôt formée la première phrase correcte. Bien moins que des valises ou même des drapeaux."

Entrer dans Les Spectateurs de Nathalie Azoulai c'est accepter d'entrer dans un univers familial en pointillé, de ne pas trouver de réponses à ses questions. Qui des personnages ou des lecteurs sont vraiment les spectateurs?

Tout commence avec les protagonistes. D'eux, on ne connaîtra jamais ni les prénoms, ni le nom. de leurs origines, on ne pourra que déduire (au prix d'une bonne connaissance historique) qu'ils ont été expulsés du Maghreb ou d'Egypte en 1954. On pourra également émettre l'hypothèse qu'ils appartiennent à la communauté juive en lisant la fureur du père lors du discours du Général de Gaulle qui condamne l'occupation des territoires palestiniens par Israël. Il entraînera alors son fils dans une manifestation de soutien à l'Etat juif. Ne pas rendre limpides les origines de cette famille m'a vraiment déroutée. Je ne parvenais pas à suivre le fil de leur vie, à comprendre les origines de leur exil. Je me sentais frustrée, incompétente voire ignare concernant cette période historique (qui, il faut bien l'avouer, est loin d'être aisée!). J'ai failli refermer le livre en raison de ce trop-plein d'ellipses. Alors, je l'ai posé et j'ai relu le titre Les Spectateurs. Cela m'a sauté aux yeux, il ne me fallait plus chercher à tout comprendre. Juste me laisser guider, accepter une part de mystère, avancer sur des sables mouvants comme le jeune protagoniste. Pourquoi moi, lectrice, parviendrais-je à m'enraciner dans une histoire qui n'est pas la mienne, alors même que ce jeune adolescent n'y arrive pas? Je ne suis que spectatrice...

La grande erreur serait d'appréhender ce livre comme le récit d'une histoire propre à une famille. Au travers de pans entiers passés sous silence, c'est l'universalité de la rupture, de l'abandon, de l'exil, du départ sans retour possible qui est mise en exergue. La force de ce livre se trouve justement dans ces pointillés que chaque déraciné pourra combler avec son histoire personnelle.
Lien : https://mespetitescritiquesl..
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