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Critique de Presence


Ce tome fait suite à le grand nettoyage (épisodes 84 à 88). Il contient les épisodes 89 à 94, initialement parus en 2008, avec un scénario de Brian Azzarello, des dessins et encrage d'Eduardo Risso, une mise en couleurs de Patricia Mulvihill et des couvertures de Dave Johnson. En VO, Azzarello avait choisi de découper son récit en 13 tomes (nombre bien sûr symbolique), le dernier regroupant les épisodes 89 à 100. du fait de l'importante pagination (302 pages), Urban Comics a découpé ce tome en 2 parties pour la version française.

Rapide retour en 1961 pour une scène dans laquelle l'agent Graves effectue une exécution sommaire dans une chambre d'hôtel, à l'issue de laquelle Javier Vasco et Augustus Medici font le point. de nos jours, tout semble aller pour le mieux pour l'agent Graves qui offre le champagne à Dizzy Cordova. Dans la rue à New York, un grand frère introduit le jeune Pippen Huff dans les affaires. Pippen (12 ou 13 ans) reçoit un flingue et sa mission : protéger son coin de rue contre les concurrents (dealers d'un autre gang). Will Slaughter accomplit la mission qui lui a été confiée. Etc.

Pour Azzarello, ces 6 épisodes et les 6 suivants ne forment qu'un seul et même chapitre qu'il a intitulé "100 bullets". Pour le lecteur, il est hors de question de commencer par ce tome. le scénario continue de gérer avec une grande habilité des situations qui se sont construites sur les 88 épisodes (un peu plus de 1.900 pages) précédents, brassant une bonne quarantaine de personnages, dans des lieux divers et variés, majoritairement aux États-Unis, mais aussi en Europe (Paris et Rome). Pour le lecteur assidu ayant commencé avec Première salve, il faut consentir un effort de mémoire pour garder à l'esprit l'état du puzzle (identité et allégeance des personnages, objectifs à demi formulés des uns et des autres, trahisons diverses et variées qui n'étaient peut-être que des stratégies de façades pour certaines). Beaucoup de situations conflictuelles trouvent ici une résolution, enfin il ne s'agit pas d'une résolution à proprement parler, mais plutôt d'un affrontement débouchant sur une nouvelle configuration à plusieurs niveaux, à la fois pour les personnes face à face, mais aussi pour le Trust, pour l'agent Graves...

À un niveau plus primaire, le lecteur sera enfin récompensé de sa patience en découvrant un complot initial expliquant (ou au moins justifiant) tous les meurtres auxquels il a assisté depuis le début de la série, ainsi que les agissements de l'agent Graves. Il y a même une scène de 8 pages (en 3 parties) qui donnent des informations sur l'origine et l'approvisionnement des fameuses mallettes contenant une arme à feu et 100 balles inidentifiables.

Les pages d'Eduardo Risso ont atteint un niveau d'efficacité imposant le respect. La complémentarité développée entre textes et dessins est d'une telle sophistication que le lecteur peut ne pas s'en apercevoir. L'impression de surface est que ces 6 épisodes se lisent très rapidement, semblant presque ne rien contenir. Une fois refermé le tome, le lecteur sera pris de vertige s'il tente de faire le point sur ce qu'il a lu et vu, et sur les avancées de l'intrigue. Azzarello découpe sa narration en courte scènes aux dialogues concis et brefs. Risso semble aérer chaque case la rendant lisible avec une sensation d'immédiateté. Tout ce montage participe à une lecture rapide et facile. Pourtant dès que le lecteur commence à prêter attention, il s'aperçoit que chaque lieu est défini dans les détails, ceux-ci pouvant être concentrés dans une image, ou répartis sur plusieurs. Il n'y a aucune possibilité de se tromper sur la scène en train de se dérouler car Patricia Mulvihill compose des camaïeux permettant de comprendre s'il agit de la même séquence d'une page à l'autre, ou si la narration est passée à un autre endroit et d'autres personnages.

Prises une par une, ces pages comprennent toutes des trouvailles visuelles remarquables. Alors que l'agent Graves prend de plus en plus de place dans la narration, le lecteur peut examiner l'évolution de son visage au fur et à mesure des informations qu'il reçoit. Il n'y a aucun doute qu'il s'agit d'un vieil homme sec, il n'y a qu'à regarder les plis de peau sur son cou. Discrètement, Risso joue avec les expressions de ce personnage, le rendant incroyablement expressif, sans rien perdre en nuances. Au fil des épisodes, certaines images ressortent par leur originalité, à la fois en termes de rendu, mais aussi par la manière dont elles s'intègrent parfaitement à la séquence, malgré l'incongruité de ce qui est représenté. Quelques exemples : une pile d'ovales verts (une plante d'appartement dans la pénombre), une main ornée de grosses bagues dorées en train de remonter la braguette d'un jean, laissant voir le début du ventre plat (incroyable cynisme par rapport à la séquence), une main en train de caresser la tête d'un brave toutou (la maman des frères Rome), une chaussure (avec encore un pied et une cheville dedans) en train de voler dans les airs, une casquette perforée par un trou de balle encore fumant, une vieille dame qui s'est fait pipi sous elle, la tête de Lono représentée comme s'il s'agissait d'un grand gorille (épisode 94), etc. L'intelligence visuelle de Risso est telle qu'il est possible d'apprécier un dessin pour lui-même, qu'il sait redonner du sens et une force visuelle aux prises de vue les plus classiques. Elle est également si élaborée que chaque séquence est une leçon de découpage, de mise en page. Comme dans les tomes précédents, Azzarello et Risso pensent chaque page de telle sorte que les images apportent des informations supplémentaires par rapport au texte, elles portent plus de la moitié de la narration, dans une complémentarité parfaite.

Le tome 13 en version originale dispose d'une introduction assez lapidaire de Brian Azzarello, s'étendant sur les remerciements pour les artistes qui ont collaboré avec lui, et un court paragraphe sur son intention. Il insiste sur le fait que cette série décrit une vision fantasmée des États-Unis et que tout ce qu'il souhaitait en dire, il l'a placé dans la bouche des personnages. Avec cette remarque en tête, le lecteur lit d'une autre manière les sentences des uns et des autres, en y voyant les commentaires de l'auteur sur la violence, les liens familiaux, le changement inéluctable, le poids de son milieu sur la vie d'un individu (pauvre Pippen), etc. Azzarello et le lecteur ont dans ce tome et le suivant une conscience aigüe que la fin du voyage est proche et que ces épisodes constituent la dernière chance de plonger dans ce monde hypnotisant, qu'ils valent bien un effort d'écriture et de lecture. Les machinations à l'intérieur des machinations continuent de broyer les individus dans le grand finale (épisodes 95 à 100).
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