AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de johaylex


« La Légende d'Elias : la Colère de la terre »,
ou l'homme peut-il habiter en poète ?

Noyé parmi les nombreux ouvrages proposés par la rentrée littéraire de janvier 2012, paraît un texte étrange, ni tout à fait roman, ni tout à fait poème, qui, sans une préface de Bernard-Henri Lévy, aussi protectrice qu'exposante - c'est-à-dire suscitant aussi bien curiosité, ironie, qu'attente légitime - serait peut-être passé inaperçu.
Et pour cause, Pascal Bacqué dans « la Légende d'Elias : la Colère de la terre », premier tome d'une trilogie, loin de se perdre dans la description complaisante de sa « moite intimité gastrique », orientation banale de la première oeuvre d'un écrivain que regrettait Sartre, a l'ambition folle d'explorer ni plus ni moins que celle de la terre : « la tourbe », décor et personnage à part entière du prologue narrant la mise en terre du père du narrateur qui se veut poète, sans prétendre l'être ;
«la tourbe » cet amas humide de déchets organiques en décomposition, en digestion par la terre.

Car, pour Bacqué, et c'est le leitmotiv de sa Légende, « la terre pense » comme l'homme pense, ou, plutôt, elle se doit d'être pensée, d'être comprise, pour que l'homme puisse y habiter en paix. Or l'impossible patience nécessaire, excédant les capacités humaines ordinaires, a provoqué voici mille ans, sur un double-acte fondateur de mort, parricide et fratricide, l'apparition d'un ordre niant l'intelligence et imposant aux hommes ce qu'ils doivent penser : l'Ordre des Dicteurs.
Condamné à ne plus se penser ni à se comprendre par lui-même, l'homme n'a pas d'autre choix que d'imposer sa puissance sur le monde par la violence ; et qu'importent ses conceptions du bien ou du mal, car celles-ci lui sont littéralement dictées par un pouvoir caché dans un village anonyme des Alpes suisses : une unique matrice ne produisant qu'inertie de la pensée, mécanique répétition passive, celle à laquelle Tamas, premier des Dicteurs, ne pouvait que se limiter, tant la fascination exercée par l'esprit lumineux de son père, Harr von den Rose, sage d'entre les sages, l'avait soumis, mais inertie de la pensée à laquelle l'esprit secret et neuf de son frère Elias ne pouvait se résoudre.

Pascal Bacqué revisite l'opposition biblique Jacob-Esaü, en ce qu'elle révèle de l'opposition de la poésie, qui est faiseuse du monde, et du roman, qui se veut miroir du monde ; et dans ce que cet antagonisme interroge la question cruciale de la filiation : le bon fils est-il celui qui ressemble à son père et ne fait qu'en reproduire les oeuvres, ou est-il celui qui, fort de l'horizon ouvert par son père, tente de découvrir le sien propre ? C'est cette tension qui traverse tout le texte et les personnages.

La Légende d'Elias ne dresse pas l'amer constat d'un univers désenchanté qui doit se fuir dans la magie, et donc dans la fiction et le mensonge, pour se guérir, mais d'un univers qui a besoin de se faire, par le mot, par la phrase, pour que se brise son reflet apparent et émerge sa réalité visible.

Armé du vers, de la prose, du théâtre, et même de la musique, dans des chapitres souvent bouleversants, parfois cocasses, mais toujours poussés à un degré d'exigence stylistique peu commune, Pascal Bacqué fait un double-pari, dans le premier tome de cette trilogie : celui de l'intelligence de son lectorat, et celui, bien plus audacieux, que ce monde, lieu où s'exerce puissance et violence, demeure mystérieux et en-chanté : l'homme peut encore y habiter en poète, et la terre lui être à nouveau terre (cf. Heidegger sur le poète Hölderlin).
Alors, peut-être que comme Harr von den Rose, ce sage idéal, bien dire une rose suffira à ne plus désespérer du monde et des hommes.




Commenter  J’apprécie          100



Ont apprécié cette critique (6)voir plus




{* *}