AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de karmax211


J'avais lu la pièce d'Alexandra Badea dimanche dernier.
Mais comme cette pièce a son langage propre - une sorte de sabir fait d'un vocabulaire qui associe des termes techniques, des termes d'informatique, de marketing, de management -, un langage unique et parfaitement maîtrisé, mais un langage qui ne m'est pas familier, j'ai évidemment pensé qu'il me fallait au moins une relecture ( je la reprendrai à l'occasion ) pour mieux appréhender son univers et ses personnages.
Ce que j'ai fait ce dimanche.

"Pulvérisés ( réduits en poudre, à l'état de particules élémentaires ) sur l'autel de la violence éternelle..."
Qui est réduit à cet état ultime ? Nous, pauvres diables au service d'un monde marchand globalisé, auquel nous nous soumettons avec cet étrange mélange d'arrivisme, de carriérisme serviles et de paradoxes où par exemple nous mesurons quotidiennement avec appréhension le taux de pollution de l'air que nous nous efforçons avec une opiniâtreté suicidaire de vicier chaque jour davantage... tout en nous faisant les chantres intégristes d'une consommation plus bio que bio...
L'autel de la violence éternelle, c'est bien sûr ce monde que nous malmenons en l'obligeant, par tous les moyens, à donner bien plus qu'il ne peut offrir, utilisant pour ce faire une main-d'oeuvre réduite à l'état d'esclaves galériens qui n'ont d'autre perspective que celle de ramer en considérant naturels les coups de fouet qui leur déchirent l'échine et pertinente l'entrave de leurs chevilles par des chaînes auxquelles ils finissent par s'habituer... quand ils ne les réclament pas.

Ce monde "fou", Alexandra Badea le fait vivre sous nos yeux à travers quatre personnages évoluant pour les uns en Europe, pour les autres en Chine et en Afrique.
En 28 séquences ou tranches de vie, l'auteure nous montre deux hommes et deux femmes ; un responsable assurance qualité sous-traitance de Lyon, un superviseur de plateau de Dakar, une opératrice de fabrication de Shangai et une ingénieure d'études et de développement de Bucarest.
Tous sont tendus, acteurs et victimes, vers un seul objectif : l'hyper rentabilité poussée jusqu'à l'absurde.
Décalés dans leur vie privée, décalés dans leurs horaires, ils oeuvrent pour le grand stakhanovisme universel... quitte à en devenir cinglés, quitte à passer à l'acte et à préférer tomber dans l'oubli du haut d'un building plutôt que de continuer...
Le Lyonnais, responsable assurance qualité sous-traitance est un peu le trait d'union qui va faire se "croiser" ces quatre personnages.
Sur son agenda hebdomadaire, son programme s'établit comme suit : " Paris départ dimanche à 16.20 pour une arrivée à Dakar à 19.55… Une arrivée à Shanghai mardi à 23.25… une arrivée à Bucarest jeudi à 9.45…"
La pièce s'ouvre sur son réveil difficile dans une chambre d'hôtel à...; jet lag = désorientation temporo spatiale...
Sur le réveil difficile du superviseur de plateau à Dakar, lequel comme le Lapin blanc dans - Alice in wonderland – ne cesse de se répéter :
-"Le temps file et tu es obligé de le rattraper..."
Puis c'est au tour de l'opératrice de fabrication de Shangai d'ouvrir péniblement les yeux avant de se rendre prestement à l'usine , une usine aux allures de "camp de travail forcé..."
En 28 tableaux, Alexandra Badea réussit de manière théâtrale à nous offrir un film choral autour de ses quatre personnages.
Un film d'une grande intensité, à la dramaturgie élaborée, soignée, méticuleuse...

Vous aurez noté que les quatre personnages n'ont pas de nom mais une fonction. À quoi pourrait servir un nom dans un monde déshumanisé ?
En lisant le texte de l'auteure, vous noterez également l'utilisation omniprésente du pronom "TU", comme un tutoiement, comme un mode d'emploi, comme un ordre donné à un subalterne, une infantilisation, une familiarité, mais aussi comme un jugement, une conscience...
C'est fin, empli de trouvailles. Un texte original, riche, intelligent, engagé, qui donne à penser et à réfléchir.
Qu'il ait été lauréat en 2013 du Grand Prix de la Littérature dramatique est plus que justifié.
Commenter  J’apprécie          413



Ont apprécié cette critique (40)voir plus




{* *}