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EAN : 9782851817853
96 pages
L'Arche (26/09/2012)
3.96/5   12 notes
Résumé :
Tu le regardes et tu ne comprends pas ce qu'il te dit
Tu l'aimes dans ta tête
Tu captes son odeur
T'avales sa voix
T'aspires son sourire
Tu manges ton bol de riz aux légumes
Tu l'écoutes sans le comprendre
Et tu es heureuse /
Car vos corps sont côte à côte dans une mare de corps rangés sur les 700 mètres carrés de la cantine /
Tu sens sa respiration sur ton cou
Et tu es heureuse
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
J'avais lu la pièce d'Alexandra Badea dimanche dernier.
Mais comme cette pièce a son langage propre - une sorte de sabir fait d'un vocabulaire qui associe des termes techniques, des termes d'informatique, de marketing, de management -, un langage unique et parfaitement maîtrisé, mais un langage qui ne m'est pas familier, j'ai évidemment pensé qu'il me fallait au moins une relecture ( je la reprendrai à l'occasion ) pour mieux appréhender son univers et ses personnages.
Ce que j'ai fait ce dimanche.

"Pulvérisés ( réduits en poudre, à l'état de particules élémentaires ) sur l'autel de la violence éternelle..."
Qui est réduit à cet état ultime ? Nous, pauvres diables au service d'un monde marchand globalisé, auquel nous nous soumettons avec cet étrange mélange d'arrivisme, de carriérisme serviles et de paradoxes où par exemple nous mesurons quotidiennement avec appréhension le taux de pollution de l'air que nous nous efforçons avec une opiniâtreté suicidaire de vicier chaque jour davantage... tout en nous faisant les chantres intégristes d'une consommation plus bio que bio...
L'autel de la violence éternelle, c'est bien sûr ce monde que nous malmenons en l'obligeant, par tous les moyens, à donner bien plus qu'il ne peut offrir, utilisant pour ce faire une main-d'oeuvre réduite à l'état d'esclaves galériens qui n'ont d'autre perspective que celle de ramer en considérant naturels les coups de fouet qui leur déchirent l'échine et pertinente l'entrave de leurs chevilles par des chaînes auxquelles ils finissent par s'habituer... quand ils ne les réclament pas.

Ce monde "fou", Alexandra Badea le fait vivre sous nos yeux à travers quatre personnages évoluant pour les uns en Europe, pour les autres en Chine et en Afrique.
En 28 séquences ou tranches de vie, l'auteure nous montre deux hommes et deux femmes ; un responsable assurance qualité sous-traitance de Lyon, un superviseur de plateau de Dakar, une opératrice de fabrication de Shangai et une ingénieure d'études et de développement de Bucarest.
Tous sont tendus, acteurs et victimes, vers un seul objectif : l'hyper rentabilité poussée jusqu'à l'absurde.
Décalés dans leur vie privée, décalés dans leurs horaires, ils oeuvrent pour le grand stakhanovisme universel... quitte à en devenir cinglés, quitte à passer à l'acte et à préférer tomber dans l'oubli du haut d'un building plutôt que de continuer...
Le Lyonnais, responsable assurance qualité sous-traitance est un peu le trait d'union qui va faire se "croiser" ces quatre personnages.
Sur son agenda hebdomadaire, son programme s'établit comme suit : " Paris départ dimanche à 16.20 pour une arrivée à Dakar à 19.55… Une arrivée à Shanghai mardi à 23.25… une arrivée à Bucarest jeudi à 9.45…"
La pièce s'ouvre sur son réveil difficile dans une chambre d'hôtel à...; jet lag = désorientation temporo spatiale...
Sur le réveil difficile du superviseur de plateau à Dakar, lequel comme le Lapin blanc dans - Alice in wonderland – ne cesse de se répéter :
-"Le temps file et tu es obligé de le rattraper..."
Puis c'est au tour de l'opératrice de fabrication de Shangai d'ouvrir péniblement les yeux avant de se rendre prestement à l'usine , une usine aux allures de "camp de travail forcé..."
En 28 tableaux, Alexandra Badea réussit de manière théâtrale à nous offrir un film choral autour de ses quatre personnages.
Un film d'une grande intensité, à la dramaturgie élaborée, soignée, méticuleuse...

Vous aurez noté que les quatre personnages n'ont pas de nom mais une fonction. À quoi pourrait servir un nom dans un monde déshumanisé ?
En lisant le texte de l'auteure, vous noterez également l'utilisation omniprésente du pronom "TU", comme un tutoiement, comme un mode d'emploi, comme un ordre donné à un subalterne, une infantilisation, une familiarité, mais aussi comme un jugement, une conscience...
C'est fin, empli de trouvailles. Un texte original, riche, intelligent, engagé, qui donne à penser et à réfléchir.
Qu'il ait été lauréat en 2013 du Grand Prix de la Littérature dramatique est plus que justifié.
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Une dramaturge qui, je pense, n'a aucune envie qu'on la définisse par sa nationalité (pour plus de détails, lire Contrôle d'identité). Alexandra Badea travaille à partir d'éléments de langage, comme on dit dans la com'. Elle les assemble, façon mosaïque ou patchwork, faisant preuve ici, je trouve, d'une technique admirablement maîtrisée, pour créer le sien, suprême ambition de l'écrivain ! La distinction sens de surface / sens profond, dont nos enseignants nous rebattaient les oreilles et que je n'ai jamais trop comprise (surtout pourquoi le second est profond et pas le premier), prend ainsi tous son sens. Cela devient facile : le sens profond, c'est l'histoire.
« Pulvérisés » désigne les individus dans une division du travail mondialisée : un team-leader à Dakar, une opératrice à Shanghai, une ingénieure bucarestoise, un responsable assurance qualité sous-traitance à Lyon. S'ils sont pulvérisés, cela provoque dans leur vie la vacuité à tous les étages, à commencer par les éléments de langage les plus creux (voir citation). Comme je le disais, cela finit par donner une histoire et causer un creux des plus surprenants, mais je ne gâcherai pas le suspense.
Une oeuvre ambitieuse et, à mon avis, une brillante réussite.
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Puisque nos existences vont finir dans la pulvérisation atomique, pourquoi ne donnons-nous pas déjà à nos vies d'atomes malades la légèreté de l'oubli ?


A Shanghai, à Dakar, à Lyon et à Bucarest, quatre personnages pulvérisés comme vous et moi croient encore cependant (comme vous et moi) à la possibilité d'accomplir le potentiel de leurs existences atomiques. A l'instar de l'ami Nietzsche, ces scènes nous rappellent que l'oubli est une condition de la survie.
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Après avoir vu ou lu cette pièce, on est automatiquement tenté de chercher d'autres oeuvres de Badea, tant le ton adopté est unique sur la scène théâtrale contemporaine.
Un langage moderne, concret et à la fois singulier, une narration qui met au coeur de l'action tout en mettant parfois à distance le public... Et ces récits croisés qui montrent les failles de l'humain à se comprendre, se respecter, s'accomplir dans un monde de plus en plus mécanisé.
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Tu les regardes et tu ris
Et pendant un moment tu oublies tout
Car il s'agit de ça : savoir oublier
Avoir la force de le faire
Passer à autre chose comme si rien de tout ça n'existait
Comme si tout n'était qu'une grosse blague /
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– Attends ça scrolle.
– T'as tué le killer poke ?
– Oui
– Comment
– Code spaghetti
– Développement al dente ?
– Pas chez moi.
– Code kangourou ça foire ?
– Ça flingue.
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Tu mets le biberon au micro-ondes
Tu lances la machine à café
Tu jettes 5 œufs sur la poêle
Et avec l’autre main tu te brosses les dents
Il prend encore sa douche
Tu frappes brutalement dans la cabine
Et tu craches
Tu réveilles la petite, elle se met à pleurer
Le grand ne veut pas bouger de son lit
Alors tu lui appliques la fessée
Il sort de la douche et s’étale de la crème à raser
Tu prends sa place après avoir introduit le biberon dans la bouche du bébé
Et la journée commence
Ta journée commence toujours sous la douche
C’est ton seul espace privé
Tu fermes les yeux et tu rêves d’une île
Seule sur une île sirotant un cocktail Lady blue
Sans ordinateur sans connexion sans mômes
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Tu ouvres les yeux
Paupières lourdes
Ton corps glisse sur le drap
Contraction du grand adducteur
Spasmes multiples du triceps
Sécheresse de la muqueuse buccale
Tu ouvres les yeux et tu les refermes
Agression de l’environnement
L’odeur du lit ne t’appartient pas
Rien ne t’appartient ici
Même pas les allumettes, les bouteilles de whisky en plastique, les cotons-tiges,
les pantoufles jetables ou la cire à chaussure
Tu es pulvérisé dans l’espace
Tu es hors du temps paumé entre des latitudes et des longitudes qui s’embrouillent dans ta tête
Delhi, Tokyo, Dakar, Sao Paulo, Kiev, Hong Kong, Santiago
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Il parle
Tu parles
Tu l’écoutes pas tu parles
Il écoute pas il parle
Vous avancez dans les couloirs
Vous entrez dans des halles immenses
Tu vois des corps
Des milliers de corps
Les mêmes corps
Des corps figés dans un mouvement répétitif, mécanique, automatique
Des corps de femmes identiques aux corps d’hommes
Dissimulés dans des uniformes apprêtés

Tu souris envahi par un profond amour pour l’humain
Ils ne te voient pas
Ils regardent les machines
Ils ne te sentent pas
Ils répètent leurs gestes intégrés
Tu avances le sourire figé sur ta gueule
Et tu parles
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Videos de Alexandra Badea (7) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Alexandra Badea
Les questions d'identité fracturée et de recherche de soi sont récurrentes dans l'oeuvre intense d'Alexandra Badea. La sortie de son second roman "Tu marches au bord du monde" (2021, Editions de l'Equateur) est l'occasion de se plonger dans les obsessions de celle qui est aussi juste dans son écriture que dans ses mises en scène.
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