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Critique de beatriceferon


A-t-on idée de s'appeler Khadija Ben-Abdelhilalilakbir ? Dans une société où « la communication est "com" et la publicité "pub" », elle, elle se nommera Dija Ben. Dans l'agence, elle travaille comme rédactrice, ce qui lui plaît car elle aime le beau langage et les mots. Malheureusement, elle se rend compte que tout ça, c'est du passé. « Je n'ai pas su négocier le virage du numérique, alors que les publications dont j'avais la charge s'allégeaient et se dématérialisaient. » Aussi, tout comme on l'a dépossédée de son nom, on l'a « spoliée de [son] gagne-pain ». En quelques minutes, sa vie vole en éclats. Elle est priée de « 1. Ramasser [ses] effets personnels. 2. Libérer le bureau . 3. Rentrer [se] reposer chez [elle]. »
C'est au moment où elle touche le fond que le grand patron « d'Araknid » envisage la création d'une cellule de reconversion qui accueillera chômeurs longue durée, migrants, exclus de la société. Ils travailleront en cuisine sous la houlette du chef Achour et prépareront le repas des employés. Une page web mettra en valeur cette innovation, c'est Dija qui en sera la responsable.
Après avoir lu « Le ciel sous ses pas », j'étais curieuse de découvrir ce que nous réservait Leïla Bahsaïn dans ce roman au titre surprenant.
En pénétrant dans le domaine d'Achour, on surprend sa brigade en plein coup de feu, l'un coupant les aubergines en tranches, l'autre préparant la garniture, de sorte qu'en formant une chaîne, ils arrivent en quelques minutes à un résultat qui aurait demandé plusieurs heures à un seul homme. Car c'est dans une cuisine que nous conduit l'auteure. C'est là que se retrouvent des êtres que la vie a malmenés et qui doivent suivre un stage destiné à les remettre sur pied et à les réinsérer.
Mais ne vous attendez pas à trouver ici une version papier des émissions culinaires à la mode. Leïla Bahsaïn a choisi cet endroit particulier pour croquer des portraits réalistes et très réussis de personnages assez surprenants. de cet introverti qui n'arrive pas à prononcer deux mots distinctement et sans bégayer, au repris de justice qui s'insurge contre tout ce qu'on lui propose, cachant sous sa jambe de pantalon un bracelet électronique et sous ses airs bravache et bougon un coeur somme toute assez tendre, en passant par l'infirmière énergique et grande gueule et l'adulescent désemparé, l'auteure aligne d'une plume alerte les situations cocasses ou dramatiques. Ou plutôt non. Car ce n'est pas elle qui parle. Ce rôle, c'est celui de Dija. le zèle qu'elle apporte à sa tâche n'est plus reconnu en cette époque où, au travail bien fait, on préfère rapidité et tape-à-l'oeil. Comme on a donné sa place à un plus jeune, elle occupe ici, à l'essai, un poste d'observatrice. Après avoir fait connaissance avec « Les gens de la cuisine », elle en tirera des profils et fera connaître le rôle qu'ils jouent.
Leïla Bahsaïn excelle dans l'art de narrer avec verve mille épisodes du quotidien de ces mal aimés de la vie et du monde qui les entoure. Elle cible le détail qui fait mouche, telles ces « mains en pinces de crabe [qui] dessinent des filets d'huile et d'or. » Ce sont celles de la fille qui tente de manipuler légumes et ustensiles avec des doigts terminés par de faux ongles, beaucoup trop longs et épais. Les images sont justes et étonnantes. « Un bruit de gargarisme : la cafetière italienne sifflote ». Les passages comiques cèdent la place à l'émotion, voire aux larmes. « Vous connaissez pas la tétine ? C'est le pis de la meuh-meuh, le mamelon de la vache si t'aimes mieux », explique celle qui se délecte de ce mets étrange. Tandis que, lorsqu'on s'interroge sur les raisons de la désertion d'un des leurs, on apprend que « Elle l'a quitté (…) Elle les a abandonnés, le copain, le môme et même le clebs ». Pire, la gorge se noue quand on se rend compte qu'un des amis « est mort d'un coeur flemmard qui se laissait vivre. Ses problèmes de santé, il n'en avait jamais parlé. »
Pour diriger cette improbable brigade, il y a le chef Achour, toujours en train de houspiller les membres de son équipe : « Et vas-y battre ne serait-ce qu'une omelette avec des bras cassés ». « Vous passez au lavabo vous désinfecter les paluches, je vous équipe et Arbeit ! » Pourtant, malgré ses dehors bourrus, il a bon coeur. Il accueille tout le monde avec un surprenant café aromatisé à la cannelle, écoute avec patience chacun raconter sa vie, et, mine de rien, réussit à remonter le moral en soulignant les qualités de tous.
C'est un livre qui parle de valeurs fondamentales, d'entraide, de solidarité et transmet, malgré les mauvais coups du sort une formidable dose d'optimisme. Il m'a beaucoup plu.
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