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Critique de Zetalupi


La prochaine fois, le feu c'est les battements du coeur dans une dent cariée, c'est l'odeur de pisse dans une roseraie, c'est le vertige provoqué par la confrontation de son âme dans un simple miroir.

James Baldwin peint les mots à l'image de Francis Bacon. Une peinture pleine de poussière, rugueuse, sanglante, comme pour révéler le plus purement possible toute la poésie d'un monde cruel. Un monde où blanc et noir font deux. Un monde où l'homme noir n'aperçoit la lueur du soleil qu'à travers la grisaille nuageuse, mais ne cherche pas la compassion. Il avance, fier, fort, résilié. Un monde où l'amour n'est plus, laissant place à la peur, aux incertitudes qui poussent l'Homme à sacrifier sa vie à la quête de sens pour ne pas se confronter à l'unique certitude de nos existences tout entières : la mort.
Ainsi et comme pour se libérer de cette peur fondamentale, l'homme cherche refuge. le paradis soyeux après le montée du crack en pleine intraveineuse, l'amour d'une heure au coin d'une ruelle sombre, ou la foi inconditionnelle envers un Dieu intolérant.

Mais peut-on véritablement en vouloir à ces oppresseurs apeurés ? Si une peur à laquelle l'on ne se confronte pas ne peut être appréhendée dans sa nature, ces innocents ignorant tout de la mort et par là même de la vie, se sont inventés une histoire pour justifier de leur supériorité. C'est précisément ici que James Baldwin témoigne d'une sagesse et d'une lucidité pure, sublime. Car si l'indifférence du monde envers l'Holocauste, envers ces noirs opprimés, et plus largement envers toutes ces minorités qui avancent le dos courbés sous la charge démentielle de l'homme blanc est littéralement à gerber de la bile, Baldwin, lui, parle d'amour.

L'amour comme progrès, comme quête de sens, comme force vitale. L'amour austère, l'amour viscéral, l'amour universel. Avec une lucidité déconcertante, Baldwin dépeint l'entièreté d'un roulement sociétal fondé par et pour l'homme blanc, qui vise à, comme le dit si bien Christiane Taubira, « asseoir une domination politique et financière conférant légitimité à des règles par lesquelles sont gouvernés ceux qui, en aucune façon, ne sont en situation de participer à l'élaboration de ces règles ». Mais alors, où est l'amour ici ? le concept de liberté pour l'homme noir - qui a traversé et traverse encore aujourd'hui, chaque jour, humiliations publiques, discriminations et autres violences laissant des marques suppurantes sur une âme qui souffre - n'est qu'un concept abstrait, mensonge auquel le peuple obéit servilement, que le blanc laisse planer par vanité. En effet, pourquoi vouloir céder à la pure égalité pour le peuple dominant qui de ce fait à tant à perdre de l'abolition de sa cruauté historique ? Pourtant, l'amour persiste chez Baldwin et ses mots restent enduits de tendresse, de sagesse et de compassion.

Bien entendu, ce texte est une véritable mise en garde quant au réveil et au potentiel soulèvement du peuple opprimé, mais il témoigne surtout d'un message porteur d'espoir. Loin de l'intégrassionnisme docile où l'homme noir s'excuserait presque d'être au sein d'une société qui ne lui laisse qu'une place périphérique, James Baldwin dessine une vie reposant sur les principes d'égalité et de justice, où l'oppressé, par amour, refuse de céder à la haine et la rancoeur envers un oppresseur inconscient, à l'image d'une mère consciente des maladresses de son enfant. Ainsi, si politiquement, le noir et le blanc forment deux couleurs distinctes, humainement, elles ne font qu'un. C'est sur ce principe, d'amour universel - sans pour autant parler d'amour érotique ou romantique tant il serait illusoire de croire cela - que doit se fonder la société.
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