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Critique de Lamifranz


« La Fille aux yeux d'or » constitue le troisième et dernier volet de « L'Histoire des Treize ». Vous vous souvenez, c'est une société secrète dont les membres se sont donnés comme ambition de réaliser tous leurs fantasmes, et ce, par tous les moyens : c'est ainsi qu'on a vu Ferragus, chef des Dévorants, assassiner un soupirant de sa fille (« Ferragus »), le comte de Montriveau, punir avec sadisme une coquette puis chercher à l'enlever lorsqu'elle se réfugie dans un couvent (« La Duchesse de Langeais »).
Ce troisième volet est curieux à plus d'un titre : d'abord, c'est une histoire d'homosexualité féminine, le fait est assez rare dans la littérature « officielle » de l'époque (je ne parle pas de la littérature libertine où nombre d'auteurs se sont étendus – si je puis dire – sur le sujet) ; ensuite, c'est une histoire de meurtre passionnel ; enfin c'est le portrait d'un dandy cynique et sans scrupules, reflet d'une certaine société.
La marquise de San Réal a pour amante la jeune Paquita, une rousse incendiaire, surnommée « la fille aux yeux d'or ». le comte de Marsay (un des Treize) est un dandy qui a la réputation d'être un séducteur invétéré. Aussi fat qu'enjôleur, ce Dom Juan qui remplit son « catalogo » se signale par son absence totale de conscience. Il remarque Paquita et ne tarde pas à devenir son amant, pendant une absence de la marquise. Comprenant à certains indices quelles sont les orientations saphiques de l'impétueuse rouquine, il envisage clairement de la tuer. Mais la marquise, revenue plus tôt de son voyage, le devance dans ce beau projet. Pour clôturer le tout, Marsay découvre que la marquise et lui ont le même père !
« La marquise voulut s'aller jeter sur le divan, accablée par un désespoir qui lui ôtait la voix, et ce mouvement lui permit alors de voir Henri de Marsay.
- Qui es-tu ? lui dit-elle en courant à lui le poignard levé.
Henri lui arrêta le bras, et ils purent ainsi se contempler tous deux face à face. Une surprise horrible leur fit couler à tous deux un sang glacé dans les veines, et ils tremblèrent sur leurs jambes comme des chevaux effrayés. En effet, deux Ménechmes ne se seraient pas mieux ressemblé. Ils dirent ensemble le même mot : — Lord Dudley doit être votre père ?
Chacun d'eux baissa la tête affirmativement.
- Elle était fidèle au sang, dit Henri en montrant Paquita ».
Tu parles d'une oraison funèbre !
Balzac dans ce roman flirte bien sûr avec la morale, en abordant ce sujet scabreux (pour l'époque). Mais ce faisant il égratigne, quand il ne l'écorche pas, la société de son temps, le chapitre d'introduction, véritable prologue au roman, décrit les différents cercles de la société (qui sont ceux de l'ensemble de la « Comédie humaine ») : ouvriers et prolétaires, boutiquiers et commerçants, hommes d'affaires, artistes, aristocratie, et enfin les rentiers riches et oisifs. C'est ce type de classement qui plusieurs décennies plus tard, pousseront Emile Zola à créer les Rougon-Macquart.
Il faut signaler de la même façon le talent du romancier : les portraits des protagonistes sont bien dessinés dans leur vérité la plus cruelle. Et l'écrivain montre tout son savoir-faire : remarquez les notes « orientales » du salon de la marquise, notez la sensualité qui en émane, voyez aussi comment l'auteur joue avec le symbolisme des couleurs : blanc et rouge (pour Paquita) or (pour la marquise), l'or et le rouge pouvant tout aussi bien symboliser la richesse et le crime.
Ce petit roman insolite et captivant a inspiré un beau film à Jean-Gabriel Albicocco en 1961 « La Fille aux yeux d'or » avec Marie Laforêt dans le rôle-titre (surnom qu'elle gardera toute sa vie), Françoise Prévost (la marquise) et Paul Guers (Marsay).
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