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Critique de GaletteSaucisse


Quand j'étais petite – je devais avoir quatre ou cinq ans – mon père avait un chat, récupéré à la mort de mon grand-père.
On l'appelait Legros (le chat, pas mon grand-père).
Legros était, ironie du sort, un chat tout maigre, tout noir, avec des yeux méprisants.
En réalité, Legros avait mal supporté la mort de mon grand-père, mais il finit par s'habituer à nous.
Je l'aimais bien, ce chat.

Un jour, Legros disparut. Plus une trace de lui, alors qu'il sortait peu.
Me trouvant inconsolable, mon père eût tôt fait de trouver un petit chaton, chez une voisine. On l'appela Tancrède.
J'avais toujours ce chagrin d'avoir perdu Legros, mais Tancrède finit par me consoler.
Tancrède était jeune, vif, joueur. Legros était fuyant, triste, acariâtre. Vieux.
Tancrède était-il mieux que Legros?
Oui, peut-être.

Et puis, quelques semaines plus tard, Legros revint.

Il n'avait pas changé, hormis son regard qui avait troqué son air dédaigneux pour une lueur définitivement triste.
Il eut en plus la surprise de constater qu'en son absence, on l'avait remplacé.
Je me souviens que Tancrède essaya de nouer avec lui.
Ça ne dura pas. Legros repartit trois jours plus tard. Pour ne jamais revenir.

C'est ce qui arrive au Colonel Chabert.

Car oui, ne t'inquiète pas, j'ai beau divaguer sur mon chat, j'ai un fil conducteur et je sais où je te mène.

Le colon Chabert est officiellement mort pendant la bataille d'Eylau.

(8 février 1807, je rafraîchis ta mémoire parce que je sais que tes cours d'histoire sont loin)

Sa veuve, donc, a convolé avec un joli comte dont elle est très amoureuse.
En plus il lui fait des enfants. Deux.
Elle s'est faite plein de thune grâce à la rente de son défunt – croit-elle – mari, et en plus elle est super jolie.

Sauf que, Dieu étant ce qu'il est – c'est-à-dire un vieillard qui aime bien foutre la merde quand on ne le lui demande pas – il décide de faire en sorte que, protégé par la carcasse de son cheval, Chabert s'en sorte.

Alors, quelques années plus tard, ce haut colonel adulé par la Patrie, parce qu'elle ne vénère toujours que ses morts, il revient en France, vêtu de haillons, sans dents, sans cheveux, sans illusions.

Sans illusions ? Pas tellement.

Car Chabert a l'espoir de retrouver son identité puisque, comme de bien entendu, personne ne le croit quand il dit qu'il est El Famoso Colonel Chabert.

Il frappe alors à la porte de tous les notaires possibles, mais aucun ne le prend au sérieux.
Sa dernière chance, c'est Monsieur Derville.
Derville le croit.
Alors Derville va l'aider.

Ce très court roman (80 pages, parfait pour faire remonter tes stats dans Babelio vu que tu passes trop de temps sur TikTok au lieu de lire) exploite donc le sujet du retour des morts.
Ou du Réveil des Morts, peut-être.

Dorgelès, dans ce livre que je viens de citer une ligne au-dessus donc, abordait en 1920 je crois, ce thème avec un oeil de Poilu traumatisé.
J'en avais parlé l'année dernière (déjà !).
Dorgelès demande : Une veuve a-t-elle décemment le droit de convoler après la disparition de son soldat de mari ?
Honoré, lui, préfère : Tiens, et si le disparu revenait remuer la merde ?

C'est un joli sujet, très émouvant, même si je préfère cent fois la manière de l'aborder de Dorgelès à celle De Balzac. Heureusement qu'il ne fait pas 200 pages, sinon je l'aurais sans doute abandonné rapidement. le sujet est traité trop en surface. Je le trouve trop superficiel sur, par exemple, les sentiments du Colonel.
C'est dommage, mais je lui pardonne.

La relecture de mon billet me rappelle l'histoire d'Anthelme Mangin.
Revenu amnésique du front, incapable de décliner son identité, pendant plus de vingt ans près de trois cents familles déchirées par le deuil impossible vont tenter de prouver à la justice que ce bonhomme est bien leur fils, leur mari, leur frère.
Une fois son identité retrouvée – après vingt ans d'acharnement judiciaire – Mangin retombe dans l'oubli, lui qui avait été la figure du Disparu des tranchées pour beaucoup de mères et veuves inconsolables.

Ainsi, la Patrie ne retient que ses morts. Elle condamne ceux qui reviennent à une pension misérable (lis le Réveil des Morts, franchement, tu verras de quoi je parle), après leur avoir ôté un bras, une jambe, un oeil, un visage.

Ceux qui reviennent fous sont laissés pour compte dans les asiles, où ils seront achevés sous le régime de Vichy quand il décrètera les réquisitions et donc la revue à la baisse des repas donnés aux aliénés (400 calories par jour, ouais, c'est maigre).

Mais ceux qui sont morts au champ d'honneur, on leur fait un beau monument dans chaque ville de France. On déposera une gerbe de fleurs en pleurant un peu, avant de boire pour célébrer la victoire.

On fera du jour de leur mort un jour de liesse, car c'est avant tout la victoire nationale.

Devrions-nous ? Ne serait-il pas plus commode de faire du 11-Novembre un jour de deuil et de honte nationale ? de deuil pour avoir envoyé au casse-pipe des braves gens que l'on n'honore que si leur mort résulte d'une balle allemande, et de honte pour ne pas, ensuite, avoir été foutus de créer un monde plus juste, où la guerre ne se voit plus que dans les livres ?

Mon billet prend un ton trop politique. Je conclurai donc ici, avec une dernière question néanmoins :

le Colonel Chabert, lui, n'aurait-il pas mieux fait de rester mort ?
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