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Critique de isanne


Voilà un livre lu depuis quelques jours et dont il est difficile de parler sans édulcorer son propos...

Un jeune homme qui n'est autre que l'écrivain lui-même, tout juste diplômé de l'Université de Calcutta, ne trouve aucune embauche. Ses ressources s'amenuisent et voilà qu'endetté, désormais, on lui refuse l'accès au foyer où il pouvait prendre ses repas... Fortuitement, il croise un de ses anciens condisciples, plus fortuné, à qui la vie a davantage souri. Celui-ci, sans doute ému par la misère dans laquelle son ami se débat, lui propose un travail : partir, vers le Bihar, une des provinces les plus pauvres de l'Inde, aux confins des forêts sous le regard des sommets de l'Himalaya et devenir l'employé de son père, riche propriétaire. Sa tache sera d'accorder des parcelles à ceux qui demanderont à travailler la terre.
Le jeune homme quitte Calcutta pour rejoindre son poste, en pleine nature, en pleine jungle...
Le premier mois, la transition est tellement brutale, le dépaysement tellement déstabilisant, qu'il ne songe qu'à démissionner et retourner à Calcutta où la misère lui apparaît plus tolérable que la solitude et l'isolement qui sont désormais siens.

C'est compter sans le charme de cette forêt, de cette luxuriance de la végétation, sa beauté inconcevable toujours en variations de couleurs et de senteurs, de cette faune sauvage crainte et divinisée, c'est compter sans la rencontre de ceux qui connaissent les paysages depuis toujours, les peuplant de divinités souvent bienfaitrices, de tigres mangeurs d'hommes, d'oiseaux paradisiaques.
L'homme exilé se laisse envoûter, malgré lui, par tous et par ces paysages sur lesquels son regard s'ouvre. Cette forêt et ces terres sauvages deviennent pour lui un trésor à protéger et il essaye de dispenser les parcelles tout en respectant la jungle, ses vies enfouies, et les autochtones, dont il découvre que la pauvreté n'est même pas concevable pour un homme venant du Bengale qu'il est..
Il se blottit avec sérénité dans cette solitude offerte peuplée de bruissements et n'aspire désormais qu'à ne plus la quitter.


Ce livre, écrit dans les années 1930, et qui parle d'une existence que l'écrivain a réellement vécue, est un manifeste écologiste et une leçon d'humanité.
En plusieurs dizaines de rencontres, de nuits passées à contempler la canopée, les montagnes changeantes, les arcs-en -ciel, à craindre de faire face aux buffles sauvages ou aux serpents dont la morsure est mortelle, le narrateur se transforme, comme happé par ces paysages dont il ignorait l'existence, conquis par "gangotas" dont il comprend la philosophie de vie, avec une compassion sans misérabilisme pour leurs existences si démunies, dénuées de tout, comme cet homme âgé, qui réensemence la jungle de toutes sortes de végétaux prélevés lors de ses déplacements au sein de celle-ci ou recueillis à l'état de graines dans les jardins où il a travaillé, pour faire surgir la couleurs comme un peintre le ferait sur une toile , pour faire chatoyer les lieux, les rendre encore plus féeriques... Ou ce danseur qui ne vit que pour son art, et peu importe si la faim est sa seule compagne, pourvu qu'il puisse apprendre une nouvelle danse qu'il partagera - trésor de Culture qu'elle est – avec les villageois qui viendront le voir, conscients des symboles de ses gestes, comme un livre ouvert qu'on choisirait de lire à plusieurs...Ou cette jeune veuve rejetée de tous, puisque sans statut dans cette société, qui vole pour nourrir ses enfants, attend la fin du repas de cet homme qu'est devenu l'écrivain, respecté et craint, pour disposer des restes de son repas qui seront festin pour les siens, mais dont la compassion et l'humilité lui donnent l'écoute et la font s'occuper du malade que tous abandonnent..

C'est une parcelle de l'Inde chargée de légendes, d'identité fantastique qui jaillit de ces pages, une Inde de pauvreté, d'abstinence, de sourires et d'abnégation, de résignation souvent. Une lecture qui vous cheville et vous retient, vous faisant ressasser et toujours imaginer cette jungle vouée à disparaître, c'est une lecture qui colore l'existence, qui la peuple de vies sauvages, d'une flore flamboyante, qui redéfinit le mot « Humanité » au sein d'une société tant enclavée dans ses castes. Une lecture entre écologie – dans la richesse de ce mot, et mystère du respect des divinités qui accompagnent le quotidien.
C'est le récit du démantèlement d'une vision de paradis qui se fait petit à petit, au détriment des autochtones repoussés aux confins et oubliés, eux qui sont l'âme de ces lieux.


Quand le "Babu" se rendra compte de la disparition imminente des derniers vestiges d'une beauté effacée, il sera trop tard et il comprendra combien il est attaché à cette présence d'une vie où se mêlent religion, intolérance des castes, et surtout richesse d'un environnement toujours magnifique et changeant.
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