Un texte d'une grande beauté…
« Vous voyez cette forêt , cette jungle, c'est un endroit merveilleux. Depuis si longtemps, les fleurs s'y épanouissent, les oiseaux y chantent et les divinités, mêlées au vent, viennent y poser le pied sur le sol de notre terre. Elles ne demeurent pas là où l'on échange de l'argent, où l'on emprunte et où l'on prête, car l'air y est empoisonné. «
Encore un MERCI à l'amie isanne… qui par ses lignes enthousiastes … a attiré mon attention sur cet auteur bengali et cet ouvrage précurseur, toujours d'une actualité à peine croyable !
Trésor écrit entre 1937 et 1939, un des tout premiers romans écologiques, avec une large part autobiographique, que les éditions Zulma ont eu la très belle idée de nous faire connaître !!
Heureusement que je fais des recherches dans plusieurs bibliothèques… ce qui me permet de palier très vite aux curiosités et élans les plus urgents ; ce qui fut le cas pour cet écrivain bengali, dont je vais chercher de suite sa « Complainte du sentier » , adapté au cinéma par le grand
Satyajit Ray ; rien que cela, Mazette… ! Cette « Complainte » rééditée chez Gallimard, dans la collection de l' »Imaginaire »…
J'ai, de surcroît, une sympathie et estime particulière pour Zulma, maison d'édition d'une très grande qualité, par ses choix et son exigence autant pour les textes que l' esthétique de ses maquettes !
Notre narrateur,Satyacharan [ un reflet troublant de l'auteur ], dans les années 1930, à Calcutta , jeune diplômé,perd brutalement son père, se retrouve sans travail, accepte un poste de régisseur aux confins du Bihar, dans le nord-est de l'Inde. Quittant Calcutta, ses commerces, ses théâtres, ses musées, son animation, se retrouve dans la jungle dans une solitude absolue, assez déboussolé !
« Au début, quand j'arrivai de Calcutta, la terrible solitude et cette vie presque sauvage m'étaient intolérables ; par la suite, elles me semblèrent préférables à toute autre. La nature rude et barbare m'a initié au mantra de la liberté et de l'indépendance ; serais-je à nouveau capable de me laisser enfermer comme un oiseau sur son perchoir, dans la cage de la ville ? Je chevauchais librement, rapide comme le vent, sous le ciel éclairé par la lune à travers les forêts de sal et de flamboyants et les rochers de cet espace désert. Je n'aurais voulu échanger cette joie contre aucune richesse de ce monde. »
Ce citadin , par cette mission professionnelle peu aisée, va transformer cette expérience en un miracle d'authenticité et d'apprentissage du REGARD, une parenthèse de remise en question de la civilisation et de la société… !
« Mes supérieurs m'écrivaient lettre sur lettre pour me presser de distribuer les terres à des fermiers. Je savais que c'était un des principaux devoirs de ma tâche, mais je ne me décidais pas à détruire la paix de ces bosquets secrets. Les métayers qui prendraient des terres en fermage ne le feraient pas pour conserver intacte la forêt, qu'ils défricheraient aussitôt pour y cultiver leurs récoltes, y construire des maisons où habiter. Cette belle étendue déserte, les forêts, l'étang, cette chaîne de collines, tout se transformerait en colonies humaines. « (p. 135)
Cela fait plus d'un mois que j'ai achevé cet ouvrage très étonnant, et j'ai beaucoup de mal à rédiger une chronique, tant ce texte est dense, et déploie de multiples problématiques, toujours d'une criante actualité !
Texte paru en 1938, et qui après tout ce temps ,continue à nous interpeller, à nous alerter, à nous questionner, sur notre planète que nous continuons à mettre à mal... !
Tout ce que je pourrais en dire ne ferait qu'affaiblir l'enthousiasme ressenti ; je laisse la parole à
France Bhattacharya, qui a rédigé une postface très précieuse : « L'histoire que raconte le narrateur est celle de la transformation d'un chômeur pauvre, mais éduqué, de Calcutta en une sorte de seigneur qui rend la justice et distribue des terres à des individus démunis. Dans les premiers chapitres, le narrateur souffre de son isolement et regrette amèrement les amis, les distractions et les facilités de sa vie à Calcutta. Mais, peu à peu, il est comme envoûté par la beauté de cette immense forêt, vierge de presque toute présence humaine. Son roman prend des accents lyriques, et il insiste sur la nécessité de préserver cet élément naturel de toute mainmise humaine alors qu'il est payé pour la détruire .
Une autre question d'actualité que soulève Banerji est la place des peuples autochtones dans les sociétés dominantes. (…) L'auteur nous présente de très curieux et très attachants personnages qui viennent rendre visite à l'habitant solitaire
de la forêt. le lyrisme de l'écrivain donne à son propos des accents romantiques. Ce roman est un hymne à la beauté d'une nature encore vierge, préservée des laideurs qu'y apportent bien souvent les humains.» (p. 299)
« Un jour viendrait, peut-être, où les hommes de notre pays ne pourraient plus voir de forêt. Il n'y aurait plus que des champs cultivés et des usines de jute. La fumée des usines textiles serait partout visible. Ils viendraient alors dans cette région reculée comme en pélérinage.Puissent ces forêts être préservées, inchangées, pour ces hommes du futur ! « (p. 288)
Un texte exceptionnel et un écrivain à découvrir , offrant une grande lumière et un sens profond de l'Humain…comme de cette belle Nature, dont nous sommes responsables, pour nous et les générations suivantes !