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Critique de LaSalamandreNumerique


L'homme des jeux a été écrit par Banks en 1988 et traduit en France en 1992. C'est le second roman du cycle de la Culture, après « Une forme de guerre ».
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Ce roman d'environ 400 pages se compose de deux parties de taille sensiblement égale. Dans la première l'auteur nous fait découvrir ce qu'est la civilisation appelée la Culture. Il s'agit d'une société de l'abondance, très avancée technologiquement et très ancienne. L'homme y côtoie pacifiquement diverses intelligences, dont des machines devenues intellectuellement égales voire supérieures à lui. Il a largement renoncé à toute forme de domination voire de gestion du très vaste espace contrôlé par la Culture, laissant les IA s'en charger. Cette société est donc pacifique, multiforme, anarchiste, éthique et parfois cynique. Les individus changent fréquemment de sexes durant leurs vies ce qui ne pose aucun problème, pas plus que les questions d'apparence. La tolérance est la règle.
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Mais que faire dans une telle société, comment s'occuper, se motiver, éviter l'ennui ? La réponse est très simple : jouer ! C'est ce qui offre l'occasion de se dépasser comme de nouer des relations sociales, qui permet à chacun d'obtenir un statut comme de vivre des poussées d'adrénaline (entre autre car chaque individu peut sécréter diverses hormones sur commande pour répondre à ses besoins de l'instant). C'est aussi l'occasion de développer sa créativité et est vu comme un art voire l'art suprême.
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Dans cette première part du roman nous allons faire la connaissance d'un des meilleurs joueurs à savoir Jernau Gurgeh. Il est ce qui, dans cette société de « loisirs », se rapproche le plus d'un joueur professionnel, excellant dans cette activité, écrivant des traités… Nous le verrons interagir avec d'autres membres de la Culture, que ce soit des humains ou des intelligences artificielles, ces dernières étant surtout représentées par des drones. Jernau se laissera entraîner par un de ces derniers dans une activité répréhensible (que je ne dévoile pas mais qui s'approche le plus d'un crime dans cette société qui n'en connaît pour ainsi dire pas) ce qui, avec l'ennui qu'il ressent de plus en plus, le poussera à… passer à la seconde partie de l'ouvrage. (Merci à lui !)
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Contact, la part de la Culture qui se consacre aux rencontres cosmiques, demande à Jernau d'accepter de partir 5 ans loin de chez lui afin de représenter sa civilisation face à l'Empire d'Azad. Sa « mission » est alors de jouer au jeu sacré de cet Empire, qui porte son nom : Azad.
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Cet Empire a pour point commun fondamental avec la Culture de devoir une bonne part de sa cohésion sociale au jeu mais, pour le reste, il est très différent. Expansionniste il ne recule pas devant l'utilisation des armes pour se développer, violant et génocidant populations et peuples qui lui résistent. La torture fait aussi partie de ses usages. En interne les inégalités sont nombreuses. La population est composé de 3 sexes et l'un d'entre eux domine les deux autres (approche voisine de celle des castes indiennes), de la même façon les inégalités de statuts sont considérables. La différence n'est pas tolérée, les règles sont nombreuses et impératives et le sadisme parfois présent. le jeu n'a pas non plus la même fonction. Pour la Culture il s'agit avant tout pour chacun de se réaliser, pour l'Empire le jeu est un affrontement destiné à prouver sa force, idéalement en écrasant les autres et les vainqueurs occupent les postes de pouvoir, pouvoir dont ils usent et abusent.
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Jernau va donc apprendre lors du voyage ce jeu, infiniment complexe puis se confronter à des joueurs de plus en plus forts de l'Empire, au fil d'éliminatoires successifs. Ses victoires vont déplaire de plus en plus et il sera confronté à diverses pressions, à des menaces…. Saura-t-il résister à ces dernières ? Aura-t-il la force de continuer ? Est-il capable de vaincre les meilleurs dans ce jeu qui est l'essentiel de leurs vies et qu'il découvre ? Quels seront les impacts sur l'Empire de victoires d'un « étranger » ? Et que désire vraiment « Contact » et la Culture ?
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Je découvre le cycle de la culture, un livre-monde comme je les apprécie, avec grand intérêt. Pour autant, contrairement sans doute à ce qui aurait été le cas si j'avais eu 15 ans, mon avis sera nuancé.
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- Banks nous propose un univers cohérent et très original. Sur ce plan il a peu à envier à des ouvrages comme « Dune ». Son concept de départ est assez fascinant, à des années-lumière des space opéras de combats. Il y a une véritable réflexion sur un avenir possible et ce qui nous est proposé est de qualité, pouvant donner à réfléchir.
- Cet auteur doit avoir pratiqué le jeu à bon niveau car il sait parfaitement décrire la mentalité du compétiteur, les enjeux psychologiques, les retournements de situation. Ces passages sont très convaincants.
Banks a une belle plume et l'ouvrage se lit de façon plaisante. La seconde partie est plus stimulante que la première, qui a le mérite de poser un décor complexe mais n'évite pas les longueurs.
- Contrairement à ce que j'ai lu il n'y a pas d'opposition manichéenne entre l'Empire, qui ressemblerait à notre société et la Culture, qui proposerait un monde idéal. Certes l'Empire représente une sorte de « 1984 », une société totalitaire sombre et brutale à laquelle il est facile de nous identifier mais la Culture fait alors un peu penser au « meilleur des mondes », à une société stérile où l'ennui n'est jamais loin et où la vacuité remplace la violence. Les contraintes, pour intériorisées qu'elles soient, sont tout aussi présentes et le héros ira aussi jouer à l'Azad pour fuir un mauvais choix risquant de l'exposer à une forme de mort sociale. La Culture veille par ailleurs aussi à contrôler les autres sociétés et son pacifisme n'est pas dénué de calculs. Cette vision critique d'une société qui pourrait au premier regard sembler idéale est une des richesses de cet ouvrage.
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Pour autant quelques éléments font selon moi que ce très bon livre n'est pas un chef d'oeuvre :
- le concept de Culture est très intéressant mais se résume en quelques dizaines de lignes. Je ne reproche donc pas, comme certains, la complexité supposée de cet ouvrage mais, au contraire, le fait que certaines pistes de réflexion ne soient qu'ébauchées. Cela laisse une grande place à l'imagination mais il me semble que pousser l'analyse aurait enrichi l'ouvrage tout en restant dans son esprit à savoir une science-fiction assez cérébrale. Je préfère la façon que Le Guin peut avoir de proposer des univers très différents et cohérents, de façon plus légère et profonde à la fois selon moi.
- L'idée d'intégrer des drones est judicieuse et assez novatrice, annonciatrice aussi d'évolutions technologiques dont nous sommes les témoins… mais ici, hélas, il n'y a pour ainsi dire pas d'altérité. Les drones pensent et communiquent comme des humains, ce qui supprime l'essentiel de l'intérêt de la chose. Oui, ils sont des formes différentes, oui, ils changent de couleurs selon leurs émotions… mais c'est bien superficiel.
- La Culture est un univers si peu porteur d'aventures que ce roman, comme les autres à ce que j'ai lu, développe presque exclusivement les contacts avec les autres civilisations. Pourquoi pas mais, alors, nous restons un peu en marge de ce concept, pourtant le plus original de cette série. Approfondir le questionnement sur le sens de vies individuelles dans un univers faussement idéal, où l'homme a renoncé à la violence, à l'intolérance mais aussi aux grandes aventures pour se réfugier dans une société de loisirs aurait été très intéressant. Là nous restons à la périphérie animée de cette culture.
- Ce roman est éminemment prévisible. La seconde partie, très agréable à lire par ailleurs, laisse deviner tout son déroulement comme sa conclusion dès les premières pages. Ce n'est pas dérangeant pour qui lit de façon contemplative, pour observer cet univers mais, en revanche, cela nuit au suspens.
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Je crains que les amateurs de conquêtes spatiales avec sabres lasers et aventures amoureuses ne soient quelque peu désorientés par ce livre. Pour les autres amateurs de science-fiction j'en conseille la découverte. Je ne trouve pas que ce livre soit parfait mais il reste très stimulant et, en dehors de quelques longueurs, agréable à lire.
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