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Critique de gerardmuller


Un prêtre marié /Jules Barbey d'Aurevilly (1808-1889)
Ce roman paru en 1865 commence par une assez longue introduction qui répond à la technique habituelle de construction de l'auteur, à savoir celle du récit enchâssé où le narrateur initial cède la parole à une personnage qui devient à son tour le narrateur.
L'histoire débute dans les années troublées qui ont suivi la Révolution. Jean Gourgue dit Sombreval, d'origine paysanne normande , après des études sérieuses au séminaire de Coutances est ordonné prêtre au grand désespoir, dans un premier temps, de son père qui voyait de fait sa race abolie.
Sombreval est un travailleur acharné et n'inspire aucune sympathie. Il vit dans une petite maison avec son père. Il quitte un jour du début de l'année 1789 son village normand pour une mission secrète à Paris ordonnée par l'évêque. Il ne reviendra jamais de la capitale, « ce gouffre de corruption, ce cratère qui allait vomir la Révolution française ».
C'est là qu'il va perdre son âme, sa foi et ses buts suite à la rencontre d'un chimiste qui lui communique sa passion. Il va ainsi consacrer sa vie à la science, séduire la fille de son collègue et commettre le péché suprême en se mariant avec elle et consommer ainsi son apostasie dans le « bourbier des bras d'une femme ». Au-delà du péché de chair, c'est Dieu lui-même qu'il assassine. Son père qui avait accepté sa prêtrise mourut de cette déchéance et de la mise au ban de l'opinion du pays de ce fils apostat.
La jeune fille, belle et orpheline de mère ignorait qu'il fût prêtre. Pieuse et tendre, elle aimait Sombreval. C'est enceinte qu'elle apprend que Jean est prêtre. le choc est tel qu'elle ne se relève pas de ses couches. L'enfant née, une fille très fragile, est prénommée Calixte. Signe particulier, elle a une petite tache sur le front en forme de croix. Jean aime sa fille, il est attentionné et veille à son bonheur, mais n'a jamais évoqué avec elle l'idée de Dieu. C'est l'abbé Hugon, son parrain, qui va plonger l'adolescente, pure et poétique mais souffreteuse dans la divine ébriété. Lui qui a assisté sa mère dans ses derniers instants est son confesseur, mais plus encore, le souvenir de sa mère.
Revenu dans sa campagne natale au fin fond de la Normandie, Jean s'installe avec Calixte dans le vieux château de Quesnay qu'il a acquis récemment, une demeure abandonnée et maudite depuis des années. Jean a pour Calixte des attentions, des surveillances et des adorations sans bornes. Mais peu à peu une ambiance lourde s'installe dans le pays : malgré le charme angélique de la jeune fille, les pires médisances courent dans le village sur le prêtre marié et sa fille, considérés par les villageois comme des créatures diaboliques. Les mauvaises langues vont jusqu'à suspecter le château d'abriter le sacrilège et l'inceste. Sombreval met toute son énergie et sa science pour soigner la maladie nerveuse de Calixte « d'une beauté nitescente mais toujours d'une pâleur albâtréenne et sépulcrale, réfugiée dans sa chambre, une vraie cellule de religieuse dans sa virginale austérité. »
« On aurait dit l'Ange de la souffrance marchant sur la terre du Seigneur, mais y marchant dans sa fulgurante et virginale beauté d'ange, que les plus cruelles douleurs ressenties ne pouvaient profaner…Calixte souffrait dans son corps par la maladie et dans son esprit par son père, mais elle n'en était que plus belle. »
Dans le voisinage, seul un flave et mince jeune homme aristocrate, Néel, fils du vicomte de Néhou va braver l'opprobre général se languissant d'amour pour la belle Calixte qui depuis sa rencontre avec l'abbé Hugon s'est donnée à Dieu pour racheter la conduite de son père. La vénération de Néel pour Calixte ne trouve qu'une réponse d'amie ou de soeur : elle a choisi d'être carmélite et entend le rester. Elle ne devrait pénétrer dans le cloître qu'après la mort de Sombreval. Alors Néel va se jeter dans une passion impossible, tout risquer et même sa vie. Et Sombreval tout faire pour que sa fille n'ait pas à subir l'infamie populaire et les noires prophéties de la Malgaigne, l'omniprésente sibylle de malheur. Même l'impensable : offrir son âme à l'enfer.
Barbey d'Aurevilly dans ce grand roman fait montre d'une force et d'une puissance d'évocation remarquable. Un souffle envoûtant traverse toute l'histoire qui tient le lecteur en haleine grâce à une langue d'une grande justesse, d'une grande richesse, sombre, éloquente et imagée. Parfois précieuse. Imprégné de foi catholique et marqué par la question du mal et du péché, d'Aurevilly mélange des éléments du romantisme tardif et du fantastique surnaturaliste notamment quand il évoque les superstitions normandes. Malgré un certain nombre de clichés mélodramatiques architypés, cette oeuvre reste pleinement évocatrice d'un univers glauque qui a longtemps dérangé la critique à défaut du lecteur, l'histoire de trois amours fous, celui de Sombreval pour sa fille, de Calixte pour son père et son Dieu, et de Néel pour Calixte. Un drame où se mêlent le rêve, la folie, la prière, le repentir, la pénitence, l'impiété, l'absolution et le mensonge, et le tout dans une violence latente.

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