AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Krout


Krout
09 décembre 2016
Je n'entendrai plus l' Albatros de B. sans qu'y soient intimement associés un rythme et un souffle chauds. Je ne verrai plus le Lac de L. de ce regard humide et froid dans les brumes de novembre mais à la chaleur du couchant d'un soir d'été. Et sa surface n'aura plus cette sombre immobilité, miroir de ma solitude, elle sera subrepticement animée par la brise légère provoquée par des dizaines d'oiseaux virevoltant à l'affut de quelque insectes. La vie reprend sa place. Je sais déjà que je me laisserai distraire du coucher de soleil orangé, et que le calme en surface n'est que trompeuse apparence car en son sein ce lac est chevauché par de fougueux courants. Ô mystère de la littérature, par ce livre mon rapport au corps se voit modifié.

J'entre dans ce livre comme l'on pénètre dans un lac de montagne, en tâtant prudemment l'eau qui semble bien peu accueillante au premier abord. Il n'est jamais si facile de se laisser bercer par un rêve étranger. Car c'est pour moi un rêve, la plupart du temps éveillé. Tout quiconque en a l'habitude ne sera pas trop déconcerté par cette imbrication créatrice lévitant en permanence entre rêve et réalité. Je suis étonnamment surpris dès lors ne pas trouver l'étiquette autobiographie accrochée à ce livre.

D'étiquette il est d'ailleurs grandement question, avec ce très beau portrait de majordome qui régit le microcosme de cette maisonnée de la grande bourgeoisie italienne du début du XX dès le lever du jour qu'il décripte et annonce avec le même cérémonial afin de dissiper les peurs de la nuit. Qui dit étiquette, dit immuable codification et non-dits. La marche de ce monde n'est alors que stable répétition. de générations en générations, les convenances se muent en rites et les rites régissent les vies, le rôle et la place de chacun dans la Famille. S'ouvre alors avec soulagement le spectacle du grandiose déjeuner quotidien, véritable emblème De La Famille. Voilà le milieu dans lequel va devoir s'inscrire la Jeune Epouse, comprendre leurs mots, surtout correctement interpréter leurs soupirs, leurs sourires, leurs gestes.

Ainsi nous approchons l'indicible : tant de mots à soulever, tant de phrases qui couvrent autre chose que les mots qu'elles renferment. Les mots, les gestes que cachent-ils ? Même discrets, même masqués et ces éclats de rire qui parfois se brisent ... que transmettent-ils hors la peur et le secret ? Comment se rassurer ? Les rites pour l'illusion de la permanence, les rêves pour se bercer d'illusion, les mots pour se fuir, le corps pour se découvrir. Alessandro Baricco partage l'impossibilité de l'écrivain à se dire. Trop talentueux, trop connu, il nous confie dans cette mise à nu qu'il ne pourra enlacer chacune de ses lectrices. Or seul l'acte sexuel permet de vraiment se livrer ...

Il y a donc une part très personnelle d'Alessandro Baricco dans ses deux récits enlacés qui par amour marient rêve et réalité. Comment je le sens ? Comment je le sais ? Et si par hasard j'étais cet Oncle mystérieux dont je vais vous partager la conversation avec cette jeune Epouse ? Car :
"C'est une histoire comme tant d'autres, fit-il observer.
Peu importe, je veux l'entendre.
Je ne saurais pas par où commencer.
Commencez par la fin. le moment où vous avez cessé de vivre où vous vous êtes mis à dormir. [...]

Il y avait une femme, que j'ai tant aimée.

Il y avait une femme, que j'ai tant aimée. Elle avait une belle manière de faire chaque chose. Il n'y a personne d'autre au monde comme elle." p.200-202

Voilà j'ai assez dévoilé. Je reconnais bien humblement ne pas avoir le talent de Baricco quand j'adresse à ses lectrices les phrases que j'ai rêvées, écrites dans ma tête, et par lesquelles j'espère juste ne pas trop trahir l'émotion qui m'étreint. du reste pour mieux me comprendre, je ne vois à ce point plus que deux moyens...
Commenter  J’apprécie          5418



Ont apprécié cette critique (45)voir plus




{* *}