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Critique de Kirzy


Kirzy
04 février 2022
L'idée de départ est géniale : renverser le mythe de la guerre de Troie en féminisant l'épopée homérique. Les femmes muettes pendant des millénaires de l'Iliade ont désormais une voix forte qui n'est plus celle d'un choeur gémissant et se lamentant. Pat Barker sculpte les différentes figures de la femme ( épouse, veuve, mère, concubine ) autour de celle de Briséis, chargée d'être la narratrice.

Le roman démarre quelques mois plus tôt que l'Iliade. Lyrnessos, la capitale du royaume de Mynès l'époux de Briséis, vient d'être détruite par Achille. Briséis sera le trophée de ce dernier, forcée à partager sa couche avec celui qui a tué son époux et ses trois frères, rejoignant les autres femmes prises de guerre dans le camp des Grecs qui assiègent Troie depuis neuf ans.

La lecture est incroyablement immersive. On est directement et totalement plongé dans la cruauté de la guerre restituée de façon très sensorielle ( les rats, la puanteur des charniers, des corps, la sueur, les blessures ). Et dans ce chaos, Pat Barker explore parfaitement la tragédie de l'impuissance des femmes réduites à l'état d'esclaves sexuels et domestiques.

L'auteur ne s'appesantit pas sur le description des viols perpétrés. Les captives troyennes ont en elle quelque chose de douloureusement résigné, le temps a passé, nombreuses ont eu des enfants avec leurs bourreaux, certaines s'y sont attachées. Il y a bien quelques allusions aux séquelles de nuits difficiles, soignées à coup de graisse d'oie broyée dans des herbes médicinales. Même sans sentimentalisme ou sensationnalisme, le lecteur est tout autant en empathie avec ces femmes violées et échangées. le corps des femmes n'étant qu'un objet à travers lesquels les hommes luttent les uns contre les autres pour asseoir leur statut. Un passage est bouleversant, celui du sacrifice de la princesse troyenne Polyxène sous le regard de sa mère Hécube ( Pat Barker s'inspire ici de la pièce d'Euripide Les Troyennes ).

Il y a bien quelques longueurs, quelques anachronismes post MeToo, mais ce qui a perturbé l'appréciation de cette lecture, c'est le changement de braquet de l'auteure. Pourquoi quitter à mi-parcours la première voix de Briséis pour passer à la troisième personne, plus impersonnelle, plus masculine ? J'ai trouvé les raisons de ce changement assez opaques. On se retrouve avec des chapitres centrés sur Achille et qui reprennent des événements archi connus : la colère d'Achille lorsqu'Agamemnon lui ravit Briséis, son refus de participer aux batailles, son désespoir à la mort de Patrocle. le personnage d'Achille est très bien traité, le présentant comme un homme brisé par la guerre et une terrible mère, celui de Patrocle aussi, tous les deux empêtrés dans la violence de la culture patriarcale de l'époque. Mais moi il me tardait de retrouver le point de vue féminin, l'âme du roman.




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