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Critique de enjie77


« Cette première nuit près de l'ascenseur, il avait décidé de ne pas fumer. Il y avait trois paquets de Kazbeki dans sa mallette et il en aurait besoin quand viendrait le moment de son interrogatoire. Et, si cela devait suivre, pendant sa détention. Il s'était tenu à sa décision les deux premières nuits. Et puis ça lui était venu soudain à l'esprit : et s'ils confisquaient ses cigarettes dès qu'il serait dans la Grande Maison ? Ou, s'il n'y avait pas d'interrogatoire, ou seulement la plus brève procédure ? Peut-être qu'ils poseraient une feuille de papier devant lui et lui ordonneraient de la signer et ……. Son esprit n'alla pas plus loin. Mais, dans tous les cas, ses cigarettes seraient perdues. Et donc, il ne voyait aucune raison de ne pas fumer. Et donc, il fumait ».
Cet homme près de l'ascenseur, c'est Dmitri Dmitrievich Chostakovitch. Il attend d'être arrêté. Il s'installe sur le palier chaque nuit – c'est la nuit qu'ils viennent - afin d'éviter à son épouse et sa fille l'insoutenable scène de son arrestation par quelques miliciens méprisants. C'est la période des Grandes Purges, où les exécutions, d'une ampleur sans précédent, pour des raisons réelles ou imaginaires, n'ont de cesse de maintenir le peuple dans une frayeur constante, une angoisse profonde.
Qu'a-t-il fait ? Il a composé un opéra, remportant un succès immense tant en Union Soviétique que dans le monde entier ! Lady Macbeth de Mzensk ! Mais voilà, Staline décide de se rendre au théâtre du Bolchoï ! Pourquoi le Pouvoir s'était-il tourné vers la musique et vers lui alors que ce Pouvoir s'était toujours intéressé davantage aux mots qu'aux notes ? Staline, accompagné de Jdanov et de Mikoïan, va détester son opéra. Ils partiront au milieu de la représentation. Un article assassin paraîtra dans la Pravda sous les directives du Pouvoir où sa musique sera comparée à du FATRAS EN GUISE DE MUSIQUE : « une oeuvre titillant le goût perverti des bourgeois avec sa musique agitée, névrotique ». Cette oeuvre attendra plus de trente ans avant d'être de nouveau sur scène.
(Cela me rappelle l'art considéré par les nazis comme « dégénéré »).
A partir de ce dramatique épisode, Julian Barnes va emporter le lecteur dans un récit glaçant, dans une tragédie humaine qui va se dérouler en trois moments clés de la vie de Dmitri Dmitrievitch Chostakovitch, chaque chapitre commençant par cette phrase « Tout ce qu'il savait c'est que ceci était le pire moment ».
Chostakovitch sera considéré par le Pouvoir comme » récupérable » et de ce fait, il va bénéficier d'un tuteur politique qui va le rééduquer en la personne du Camarade Trochine ! le Pouvoir ne le lâchera pas beaucoup. La plume efficace de Julian Barnes amène le lecteur à assister, avec effroi, à la destruction psychologique de Chosta.
Sous l'effet des mécanismes mis en place par le Pouvoir afin d'avoir une emprise diabolique sur les individus, la propagande, la peur, l'humiliation, la nécessité de protéger femme et enfants, la censure, la torture, la déportation, Chostakovitch ne pourra échapper à l'Histoire de l'Union Soviétique et sera plongé dans une véritable tourmente psychologique : collaborer puis la honte de collaborer. Il sera parjure à lui-même, lui qui était apolitique. Ainsi, Staline aura réussi à le détruire.
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