La joie, ça colle à la peau. C’est inconvenant, inopportun, malséant, décalé, has been, ridicule. La joie ce n’est pas dans l’air du temps. C’est quelque chose que l’on traine avec soi, que l’on cache mais qui peut changer l’ordre établi.
Le fait de regarder en face ce que je ressens dans les périodes difficiles, cette envie de mourir qui cache bien autre chose, est le tournant qui m’ouvre alors vers la vie.
En atelier d’écriture, les participants sont les créateurs et je suis le lecteur : montrer ce qu’il y a de poésie dans une phrase, un texte, dire comment un texte fonctionne alors que le participant ne voit pas la forme qu’il a écrite. Mais cela reste ma lecture.
Depuis bientôt vingt ans que j’anime des ateliers d’écriture, j’ai expérimenté de nombreuses entrées ; de l’OuLiPo aux promenades sensibles, de jeux jusqu’aux travaux à partir d’un auteur, j’ai traversé des heures de construction et d’observation. Il ne me reste en main qu’une seule évidence : la qualité du silence au moment où chacun est dans son propre travail. C’est un silence peuplé, un silence où se réunissent les éléments épars de chaque vie, un silence ensemble, un silence qui permet de sourire quand le temps de l’écriture s’achève.
Comme dans le pavillon Béarn, les enfants éprouvent un vrai plaisir à lire à voix haute. Je ne sais pas où cela se tient en nous. C’est une combinaison de son, d’oralité, de sensualité, de musique, de captation du sens, des symboliques poétiques et des images multiples qui arrivent au fur et à mesure que le poème avance. Et la folie y va directement. Je le sens.
Être fou serait être incapable de faire les liaisons. L’impossibilité de la mise en rythme de l’univers et des liens sociaux serait la définition de la folie.
Le secret de vivre est celui-ci : dans le Revenir, savoir que tout a changé, les êtres et les arbres, reconnaître que le mouvement des cœurs et des saisons empêche l’idée que nous avions d’une personne ou d’un parc de se décalquer à nouveau. Le temps a passé, il s’agit d’une nouvelle rencontre, rien n’est établi, seulement l’accueil, l’amitié, la fraternité, parfois l’amour quoiqu’il en soit ; ou alors la méfiance, la douleur, le désengagement.
Nous construirons au fur et à mesure. Je les sens intéressés, contents mais inquiets. Leurs métiers sont difficiles et les moyens humains et financiers sont de moins en moins importants.