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Critique de aranzueque-arrieta


L'enfant bleu
Henry Bauchau
Acte Sud

Véronique est psychanalyste. Elle travaille depuis peu à l'hôpital de jour où elle prend en charge plusieurs heures par semaine Orion, un adolescent qui souffre de troubles psychologiques lourds - sa pathologie exacte n'est pas mentionnée -.
Le jeune handicapé est hanté par le démon de Paris qui lui fait perdre ses moyens, il le pousse à sauter ou à taper sur tout ce qui l'entoure.
Véronique devient sa psycho-un-peu-prof. Au fil des années, s'installe une relation singulière entre eux deux ; il l'appelle Madame tout en la tutoyant.
Parce qu'Orion a du mal à écrire, Véronique l'encourage à dessiner ; elle lui prédit même un avenir d'artiste. Il parvient à communiquer avec ses dessins, ses peintures, puis plus tard avec ses sculptures ou ses gravures qui reflètent le monde bouillonnant qui tourmente son esprit.
Pour mettre des mots à ses tourments, Orion invente les « dictées d'angoisse », un exercice thérapeutique et cathartique à travers lequel il se livre. Il énonce à sa prof - en utilisant un lexique et des expressions bien à lui - des textes qui coulent de sa bouche à un rythme effréné et qu'elle tente d'écrire ; elle les lui fait toujours relire.
Lorsqu'il parle de lui, Orion ne parvient pas à employer le « Je », il utilise « On » à la place.
Une relation de confiance, d'amour même à la limite du transfert, nait entre la thérapeute et son patient-élève à tel point que l'on ne sait plus qui a besoin le plus de l'autre ?
Le rôle de Véronique est difficile à définir, son implication personnelle dépasse de loin ses fonctions.
Parallèlement à son travail, le quotidien de Véronique, dont on suit les trajets en métro et RER, est en partie comblé par sa vie avec Vasco, ancien champion automobile travaillant désormais dans un garage et musicien passionné.
L'histoire se déroule sur une quinzaine d'années, entre le moment où Véronique prend en charge Orion et celui où ce dernier parvient à dire « Je ».
L'enfant bleu est certainement un des rares romans qui raconte les longues années de cure et d'accompagnement psychologique et éducatif d'un adolescent puis d'un jeune adulte psychologiquement perturbé.
C'est à travers le regard de Véronique, la narratrice et la thérapeute que l'on suit l'évolution d'Orion et la sienne ; les deux personnages grandissent, évoluent, se cherchent d'un point de vue identitaire parallèlement.
Son écriture reflète ses doutes, ses combats, sa profonde empathie. Elle ne sombre jamais dans le jugement, essayant toujours de comprendre - au sens premier - et de s'adapter avec une formidable compassion à son élève-patient.
On assiste à ce travail perturbant de longue haleine, à son implication totale, à la fois intellectuelle, psychologique et physique. Elle prend des risques professionnels d'un point de vue thérapeutique - elle pousse Orion à devenir artiste ; empiète-t-elle sur sa liberté ? - mais aussi dans sa vie de couple, car elle fait entrer son patient-élève dans son intimité, dans son quotidien en le recevant chez elle ; une relation amicale naîtra entre Orion et Vasco.
La vie du couple est animée par l'expression artistique ; la musique pour lui, la poésie pour elle ; néanmoins, Vasco parvient à s'affranchir de ses peurs et à trouver « sa » musique tandis que Véronique peine à écrire, elle n'a plus publié depuis des années.
La thérapie qu'elle entreprend avec Orion l'aide aussi à se construire, à assumer des blessures encore béantes - la mort de son enfant nouveau-né -, à aller de l'avant. Elle se relève et se révèle en même temps que le jeune homme grandit.
Le roman d'Henry Bauchau surprend par sa simplicité, tout comme par son aspect novateur. A travers le langage d'Orion, l'auteur crée une langue d'une rare beauté, bousculant la grammaire, la syntaxe et le lexique français. On est transporté dans le monde de cet adolescent, on est conquis par la poésie de ses phrases, bouleversé par ses images poétiques, surréalistes parfois, qui traduisent sa réalité.
Lire L'enfant bleu est une véritable expérience humaine, psychologique et littéraire, le lecteur n'en ressort pas indemne ; il est impliqué dans cet univers, dans cette « obscure clarté » qu'est le combat thérapeutique de Véronique pour sauver Orion des griffes du démon de Paris.
C'est par les mots de Véronique que l'on découvre les oeuvres du jeune handicapé, ses dessins, ses tableaux, ses sculptures, ses gravures ; ces différents modes d'expressions artistiques deviennent visuels pour le lecteur à travers le verbe et le regard de la narratrice. Ce procédé provoque une réaction certes guidée - nous sommes tributaires de l'enthousiasme de la narratrice - mais le ressenti demeure personnel ; ce « filtre narratif » ne biaise en rien le résultat et l'émotion que suscitent les images d'Orion grâce aux mots-reflets de Véronique, ils sont complémentaires.
L'auteur s'est servi de son expérience de psychanalyste mais aussi de poète pour donner cette dimension si singulière à son roman.
L'écriture d'Henry Bauchau est limpide, lumineuse, parfaitement épurée, il tend vers le juste avec la grâce qui lui est propre. Comme souvent dans ses romans la littérature et la peinture deviennent un complément humain presque spirituel pour les personnages qui pratiquent ces arts.
L'enfant bleu est une oeuvre majeure d'Henry Bauchau. A découvrir absolument !

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