Un tableau, il faut aussi qu’on l’entende…
Je vis entre deux soleils celui du cœur et celui du temps
Extrait du poème Litanies - La Dogana, poèmes vénitiens
Pendant ma promenade ce matin j'ai pensé de nouveau que, jusqu'à la mort de ma mère, je n'ai pas vécu ma vie mais celle qu'elle aurait voulu avoir.
Votre vie n'est pas à vous, elle n'est pas votre bien, et celui qui vit dans l'instant comment pourrait-il déchiffrer la langue épineuse du temps ? La vie, la mort, la maladie sont de grands fauves, d'intrépides joueuses qui lancent leurs dés sans hésiter.
Sans la mort quels terribles combats entre ceux qui ne mourraient plus et ceux qui grandissent, avides de terres et de liberté.
Chapitre 8 : Calliope et les pestiférés.
Je sens une tristesse en moi en voyant Roland s'éloigner. Il est venu me voir hier, la séance a été bonne, au moment de partir il m'a donné un petit carton à dessin : "C'est pour toi. C'est un portrait de mon père". Il est parti sans rien ajouter.
En ouvrant le carton j'ai vu un dessin maladroit en noir et blanc. Ce n'est pas du tout un portrait. Roland ne pourrait pas faire un portrait, il ne sait pas dessiner et pourtant ce dessin évoque mystérieusement la mort de son père. C'est un ensemble enchevêtré de lignes lourdes et de taches d'encre noire qui suggère irrésistiblement le malheur né de quelque événement obscur. C'est le témoignage d'une immense tristesse, incomprise, celle qui l'a si longtemps retenu d'évoluer. Roland si doué pour les couleurs, a su avec un peu d'encre exprimer la mort sur un bout de papier, qu'il m'a donné peut-être pour que je partage sa douleur.
En arrivant je vois, affiché sur le mur par le professeur d'art, un dessin qui m'enchante et s'accorde à la détresse bien cachée que j'éprouve. C'est une très petite île, une île bleue, entourée de sable blond et couverte seulement de quelques palmiers. Cette île, son ciel, sa lumière, sa minuscule solitude protégée par une mer chaude expriment le désir, la douleur d'un coeur blessé. Le dessin naïf, d'une manière frustre, toute pénétrée de rêve, me fait sentir avec force le silence, l'exil terrifié, la scandaleuse espérance dont il est né.
On me dit que c'est l'oeuvre d'Orion, un garçon de treize ans, en qui alternent l'application, de fortes inhibitions et des crises de violence.
Il est parsemé de ces pierres à demi cachées [...], c'est un sentier comme il y en a beaucoup en Grèce. Un chemin qui n'est jamais, qui serpente indéfiniment et sans dire d'avance où il va.
Chapitre 16 : Le chemin du soleil.
Il ne faut pas qu'ils enferment leur malheur en eux-mêmes, il vaut mieux qu'ils le vivent.
ŒDIPE SUR LA ROUTE, Chapitre 4 : Le refus d'Antigone.
[...] on ne mendie pas seulement pour survivre, on mendie pour n'être plus seul.
(Antigone)
Chacun va bientôt devoir retrouver l’itinéraire de ses songes et tracer sur la terre et dans le ciel le chemin inconnu qui correspond à son image intérieure
(Le Labyrinthe, J’ai lu, p. 132)