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Citations sur Le jeune enchanteur (39)

Callias alors passait une heure à lui répéter que la belle prêtresse l’avait vu par hasard au banquet du proconsul, l’avait aimé avec une passion involontaire et l’ignorant elle-même, comme lui, et que finalement, son secret lui ayant échappé, elle avait été marquée pour la vengeance de la Déesse, comme une prêtresse révoltée. Le simple désir de quitter le temple était un crime impardonnable. Mais la vengeance de la divinité était regardée comme incomplète jusqu’à ce que l’objet de cette passion fût également sacrifié ; ce qui expliquait la promesse du prêtre de les introduire dans le sanctuaire ; il les avait ainsi pris au piège pour servir de victimes expiatoires, et ils avaient été réservés au couteau sacré. À la suite du combat qui avait eu lieu dans la salle du sacrifice, après une dépense fort inutile d’intrépidité, ils avaient été capturés, jetés dans une tour, délivrés sans savoir comment et cherchant un refuge dans le palais du proconsul ; celui-ci leur avait fait quitter l’Asie en toute hâte. La prêtresse avait sans doute péri.
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La trirème entrait dans le Pirée, et Callias voulait que son malheureux ami consentît à y rester ; mais Sempronius, horriblement blessé, et portant avec lui la plus incurable des plaies, — un cœur brisé, — implorait la faveur d’être transporté en Italie pour y rendre son dernier souffle et dormir dans le sépulcre de ses pères. Callias oubliait toute sa philosophie quand il était assis au chevet du noble jeune homme, et pleurait quand il l’entendait radoter les étranges et diaboliques délires que lui suscitait son imagination grosse de passion et de désespoir.

— Il me semble, disait le Romain, que cette victime se tient chaque nuit à côté de ma couche, et adresse à ces monstres des paroles de pitié. Dans le labyrinthe, je l’ai reconnue tout d’abord, accoutrée et déchevelée comme elle l’était. Elle a été la première et elle sera la dernière maîtresse de mon cœur. Mais dites-moi tout ce que vous avez appris sur elle, dites-le-moi encore et redites-le-moi toujours, afin que je meure en l’entendant nommer !
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Sempronius prit l’épée en silence et la brisa sous son talon. La lame fit jaillir de la pierre quelques étincelles, à la lueur fugitive desquelles ils reconnurent qu’ils étaient au centre d’une vaste voûte d’où rayonnaient plusieurs chemins dans différentes directions. Ils s’enfoncèrent dans celui qui paraissait s’étendre le plus loin et aboutir à l’air extérieur.

— Ami, dit Callias, souvenez-vous que je ne suis pas un homme de patience ; je veux bien vous suivre encore ; mais si nous ne devons traîner nos sandales que pour trébucher sur des tombes, j’insiste pour qu’il me soit accordé de me reposer de mes fatigues à ma manière.

— Je demande encore un instant, s’écria énergiquement le Romain, et, après, vous pourrez me servir de guide dans les régions de l’éternel repos, où les malheureux oublient et sont oubliés.

Comme il achevait ces mots, un faible cri, suivi d’un bruit de pas précipités, frappa leurs oreilles. Ils s’arrêtèrent. Un rayon de lumière tremblait dans les profondeurs du labyrinthe, et tous deux se précipitèrent en avant. Le rayon tremblait toujours et filtrait toujours à travers les fentes d’une porte très-mince. Sempronius regarda au travers, poussa un cri, et se précipita dans la salle. Une femme était debout, les bras liés. Devant elle, un petit autel était allumé ; sur l’autel, un couteau. Le prêtre qui avait trahi les deux jeunes gens, regardait la victime humaine avec l’œil fixe de la cruauté. Un groupe de spectres, aux regards mélancoliques, aux manteaux longs et ténébreux, assistaient à l’œuvre de sang. Quand Sempronius apparut, la femme leva les yeux et se précipita vers lui. Le prêtre se saisit du couteau et voulut lui en porter un coup au sein ; mais ce coup terrible ne devait pas aller à son but. Callias avait conservé le tronçon de son épée, et le plongea jusqu’à la garde dans le flanc du meurtrier. Il tomba en rugissant et expira à leurs pieds. Tous les spectres tirèrent leurs épées. En un clin d’œil tout ne fut que mêlée, rumeur, carnage.
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— Callias, dit-il, votre froide et mauvaise philosophie vous fait vous défier de tout, même de vous. Quant à moi, je n’ai pas tant de choses qui m’attirent là-haut, pour que cette prison me cause tant d’angoisses. Le prêtre est décidément un coquin. J’aurais dû savoir que celui qui peut se laisser corrompre par de l’or ou par une bague peut trahir ses corrupteurs. Il nous a laissés ici pour y mourir, mais la mort est la dernière ressource de l’homme courageux. Levez-vous, et au moins ne cédons pas notre vie sans la disputer fièrement.

L’âme du Grec était noble ; l’homme du monde était mort en lui, et il serra la main de son ami avec la main du brave.

— En avant donc ! s’écria-t-il.

Sempronius marcha le premier ; mais le passage était obstrué et les difficultés croissaient à chaque instant. Enfin il fut impossible d’aller plus loin.

— Maintenant, s’écria le Grec avec une voix où une gaieté méprisante se mêlait à un sombre désespoir, l’expérience est complète ! À quoi bon nous briser les os à grimper sur des rochers qui ne peuvent nous conduire qu’au centre de la terre ! Voyons, prenez-moi cette épée, et rendez-moi le dernier service d’un Romain à son meilleur ami.
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Le prêtre alors prit son chemin vers une retraite plus profonde et plus secrète. Sempronius le suivait, quand il sentit tout à coup Callias qui le tirait violemment en arrière. À la pâle lueur d’une lampe, il vit qu’il tirait à moitié son épée avec un signe non équivoque. Le Grec connaissait évidemment le danger de la foi asiatique : le lieu n’était peut-être qu’un coupe-gorge, propre à dévaliser et à tuer les gens. Sempronius sourit, comme si le présent et l’avenir lui étaient également indifférents, et s’enfonça dans les ténèbres. Le Grec fit une pause, puis, tirant entièrement son épée du fourreau, suivit lentement la trace de son entêté compagnon. Le passage était long et difficile ; à la fin, il s’abîmait dans une pente, et la lumière fut totalement éclipsée. Ils arrivèrent à une petite porte ; la voix du prêtre se fit de nouveau entendre dans une espèce de chuchotement :

— Il faut que vous m’attendiez ici jusqu’à ce que je revienne.

À ces mots, il s’éloigna.

— Et maintenant, dit Callias, nous n’avons que ce que nous méritons ! nous ne pourrons jamais, que je pense, donner à l’humanité la morale de notre insigne folie ; car ce prêtre pensera, — ou je me tromperais fort, — que nous avons eu déjà bien assez de gloire en ce moment sans y ajouter celle de raconter les merveilles et les circonstances de notre évasion. Quelle pitié, vraiment, de n’avoir pas suivi mon avis et mon premier mouvement, qui était de donner du fer à ce mécréant en plein diaphragme avant qu’il nous attirât ici pour y crever comme un couple de chiens affamés !

Sempronius protestait toujours que le prêtre était honnête. — Une heure s’échappa, puis une autre, et il ne revint pas. — Callias, à la longue, essaya de se frayer une route et de remonter vers l’entrée ; mais on eût dit que le voyage était devenu doublement difficile depuis qu’ils étaient descendus. Au bout de quelques pas, le passage était obstrué par de larges blocs de pierres.

— Pour le coup, s’écria-t-il, la trahison est évidente ! Ce sont ici des catacombes, et nous pouvons décidément, comme d’autres fantômes, y rôder à tout jamais. Exquise et béate folie ! Ne pas avoir reconnu que ce prêtre n’oserait pas plus trahir les secrets de son temple qu’il n’oserait voir une épée en face ! Mais il s’est tiré de cette difficulté d’une manière supérieure. Et maintenant nos occupations ici doivent se réduire à rôder jusqu’à ce que nous tombions dans quelque fosse, ou mourir tranquillement de faim, courbés sur ces pierres !

Mais l’esprit de son ami, naturellement plus élevé et plus pur, était déjà monté plus haut.
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Le prêtre de Diane résistait avec courage à l’éloquence des deux amis, qui voulaient absolument voir la prêtresse du sanctuaire. C’est au fond de ce sanctuaire que l’image de la Déesse, qu’on dit descendue du ciel, est gardée par différentes prêtresses qui, en l’honneur d’elle, veillent à sa garde, veillent sans voile et le visage découvert. Plus leurs arguments étaient pressants, plus le rigide prêtre se reprochait comme un crime de les écouter. Callias lui offrit une bourse pleine d’or de Thrace. L’aruspice n’eut pas plus tôt senti qu’elle touchait sa main, qu’il la jeta par terre, comme s’il avait été piqué par un aspic, et s’enfuit. Sempronius, désespéré de voir fuir avec lui sa dernière espérance, courut après lui et le retint violemment par sa robe. La main qui avait empoigné l’incorruptible ministre de Diane était ornée d’une magnifique émeraude. Ses yeux se fixèrent subitement sur elle. Il se retourna. Le diamant passa silencieusement et mystérieusement à son doigt. Sans dire un mot, il tira de sa robe de pourpre une petite clef, et, ouvrant une porte basse à peine visible dans les sculptures de la muraille, introduisit sans bruit les deux jeunes gens dans les profondeurs du temple.

Le temple de Diane à Éphèse était le plus célèbre lieu de dévotion du monde. Callias fut heureux et enorgueilli de se sentir sous la voûte de cette fameuse enceinte, dont l’entrée avait été refusée à des rois, et qui recélait dans ses flancs plus de trésors que plusieurs royaumes. — Les offices de la journée étaient finis. Les portes de bronze du colossal édifice avaient été fermées sur le peuple ; tout était nuit, silence et solitude. Callias put alors se convaincre qu’il était dans un lieu dont la magnificence surpassait encore la renommée. Les feux du grand autel étaient mourants, et la multitude des petits autels, où les victimes avaient été offertes toute la journée, brillaient au loin comme une myriade d’étoiles évanouies. C’était à chaque pas de telles perspectives d’arcs et de colonnades, fouillés par l’habileté patiente du ciseau asiatique, et formés de marbres et de métaux brillant de toutes les couleurs du ciel et de la terre, et que la faible lueur contenue dans le temple rendait encore plus fantastiques ; — une telle profusion de statues d’albâtre et d’ivoire, dont les multitudes, armées vivantes de noblesse et de beauté, peuplaient les immenses espaces ; — une telle abondance de bannières de pourpre brochée d’or, religieuses offrandes du monde entier, suspendues au-dessus des autels, qui eux-mêmes étaient enrichis de pierres précieuses, et dardaient leur éclat sur des tapis brodés venus de Tyr et du fond de l’Inde ; — c’était enfin, une richesse et si désordonnée et si inconcevable, que l’homme le plus froid et le plus blasé du monde s’échappait à chaque instant en cris de joie et de surprise ! Quant au Romain, enveloppé dans les pensées de son cœur, subjugué par sa mélancolie et plus encore par le sourire de son espérance, il regardait tout d’un œil étonné comme si c’eût été une vision. Il considérait les voûtes et les piliers éblouissants comme l’œuvre d’un magicien, et il prêtait l’oreille aux vagues échos de harpes et de flûtes, qui de temps en temps s’échappaient des salles les plus reculées, comme il eût écouté des chœurs montant des bosquets d’Élysée. Tout était délices profondes dans le cœur de l’amant, jouissance rêveuse, ébahissement muet d’un esprit soulevé et transporté par la puissance de l’imagination aux dernières perspectives du bonheur.
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L’hymne cessa, et l’office du soir se termina par une grande fanfare de flûtes et de trompettes. Quand tout fut calme, et qu’on n’entendit plus que le bruit cadencé des rames qui frappaient les ondes, un soudain et puissant éclat de trompette retentit du promontoire ; une longue flamme rose, d’une riche couleur, trembla un moment sur le fronton du temple, et disparut ensuite dans les hauteurs du ciel.

Les matelots tombèrent sur le visage, et reçurent ce signal comme la réponse familière de la Déesse. Quelques-uns crurent voir la figure de Minerve, debout dans la flamme au-dessus du promontoire. Tous prirent la chose comme un heureux augure de leur voyage dans les parages asiatiques.
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« Pendant que nous fendons les vagues ténébreuses, enchaîne les tempêtes dans leurs cavernes, jusqu’à ce que la torche brûle sur la montagne, signal de notre heureux retour ;

« Jusqu’à ce que la torche brûle sur la montagne, comme la chevelure agitée des nymphes des bois qui jette des clartés mouvantes dans l’air ;

« Jusqu’à ce que la chanson du toit domestique nous réponde et gonfle la brise joyeuse, s’élevant dans un saint accord vers ton temple de marbre à la clarté de la lune !

« Déesse de la Lyre couronnée de lauriers, fais que la clarté funèbre de l’éclair et la flamme oblique de la foudre ne sillonnent jamais notre glorieuse trirème, depuis l’heure où le malin enfant naît dans son berceau de roses, jusqu’au moment où le soir tire les rideaux de son pavillon sur le ciel, la terre, et les nuages de l’Océan, enflammés et dorés comme les îles des bienheureux.

« Ô Minerve ! fais que notre valeureuse proue fende, saine et sauve, les plus terribles vagues. Fais que nos blanches voiles ne portent dans leur sein que des brises favorables, jusqu’à ce que nous ayons, à travers la succession des calmes et du vent, regagné le logis bienheureux !

« Écoute la chanson du matelot jovial, ô reine vierge de la glorieuse Athènes. »
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— Et maintenant, dit Callias, à Éphèse !

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La nuit était glorieusement belle : la trirème, s’élançant hors du Pirée, laissait derrière elle une longue trace de lumière, comme une charrue qui sillonnerait de l’argent fondu. Les deux amis se tenaient à la poupe, regardaient les cieux, les eaux tranquilles et les nobles sommets de l’Attique, et voyaient tous les objets fuir autour et derrière eux, comme s’ils voyageaient sur un nuage et flottaient sur le sein des airs. Les lumières et le bruit du port s’éteignirent graduellement, et la lune se leva. Le Parthénon se dressa sur sa colline, dans la clarté de la lune, pâle, solennel et solitaire, comme un majestueux esprit en vedette et veillant sur tout le pays. Les matelots se préparèrent pour la nuit, et, pendant que le navire évitait les grosses lames qui signalent le promontoire de Sunium, commencèrent l’office du soir à Pallas-Athêné. Ils éclairèrent le petit autel qui supporte son image à la proue du bâtiment, et brûlèrent en son honneur de la cannelle et de l’encens, qui baignèrent bientôt d’un nuage parfumé les flancs tapissés du navire. Callias songea alors au repas du soir, et descendit dans une élégante cabine pour y ordonner un souper digne d’une trirème impériale. Sempronius se drapa dans son manteau militaire et resta les yeux fixés sur la constellation du Taurus, qui faisait étinceler fièrement sa couronne de topazes ; mais ses pensées étaient égarées bien loin de là. À la vue d’un petit temple situé sur le front sourcilleux du Sunium, le pilote sonna de la trompette, et à ce signal l’équipage entonna l’hymne à la Déesse protectrice de l’Attique :

« Écoute-nous, aimable Minerve ! écoute-nous du fond de la sphère tressée d’étoiles qui entoure et protège comme une zone de feu les trônes dorés de Jupiter et de Junon !
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— Alors, je puis vous raconter tout ce que je viens d’apprendre, lui dit son ami. — Je suis sûr qu’au moins je n’ajouterai pas à vos chagrins : lisez cette lettre, qui est de votre proche parent Catullus ; elle m’informe que votre cousine est morte. Elle était tombée dans un état de singulière faiblesse, qu’on attribuait à un voyage imprudent dans les bois d’Ostie, où les chaleurs de l’été engendrent des miasmes mortels ; et, dans un des paroxysmes de la fièvre, elle s’est précipitée elle-même dans le Tibre, un soir qu’elle était allée, suivant sa dangereuse habitude, respirer le frais sur les bords ; le corps de la malheureuse jeune fille a été trouvé une semaine avant le départ de cette lettre. Catullus décrit la cérémonie des funérailles, avec sa minutie accoutumée dans toutes les affaires de forme et d’étiquette ; il était un des principaux invités, ce dont il est évidemment très-fier ; et il me donne un compte exact de chaque litière, de chaque cheval, et, ma foi, je crois, de chaque guirlande qui ornait ces pompeuses funérailles.

Les deux amis gardèrent quelque temps le silence, et accordèrent chacun la part de tristesse que réclamaient les bienséances et le destin inattendu de l’innocence et de la jeunesse.
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