Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout à coup ! C' est la loi,
Le jour décroît ; la nuit augmente ; souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ;la clepsydre se vide .
Tantôt sonnera l' heure où le divin Hasard,
Où l' auguste Vertu, ton épouse encore vierge,
Où le Repentir même ( oh ! la dernière auberge ! ),
Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard !
Je suis la plaie et le couteau!
Je suis le soufflet et la joue!
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau!
Je suis de mon cœur le vampire,
- Un des ces grands abandonnés
Au rire éternel condamnés,
Et qui ne peuvent plus sourire!
Viens mon beau chat, sur mon coeur amoureux;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et d'agate.
C 'est l' esprit familier du lieu ;
Il juge , il préside , il inspire
Toutes choses dans son empire ;
Peut-être est-il fée , est-il dieu ?
Quand mes yeux , vers ce chat que j' aime
Tirés comme par un aimant ,
Se retournent docilement
Et que je regarde en moi-même ,
Je vois avec étonnement
Le feu de ses prunelles pâles ,
Clairs fanaux , vivantes opales ,
Qui me contemplent fixement .
L ' Albatros
Souvent , pour s 'amuser ,les hommes de l 'équipage
Prennent des albatros , vastes oiseaux des mers ,
Qui suivent ,indolents campagnons de voyage ,
Le navire glissant sur les gouffres amers .
A peine les ont-ils déposés sur les planches ,
Que ces rois de l ' azur ,maladroits et honteux ,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d ' eux .
Ce voyageur ailé , comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau , qu 'il est comique et si laid !
L ' agace son bec avec un brûle-gueule ,
L 'autre mime , en boîtant , l ' infirme qui volait !
Le poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l 'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées ,
Ses ailes géantes l 'empèchent de marcher .
J'ai pétri de la boue et j'en ai fait de l'or.
Paysage
Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers, écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels emportés par le vent.
Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,
Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font rêver d'éternité.
Il est doux, à travers les brumes, de voir naître
L'étoile dans l'azur, la lampe à la fenêtre,
Les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement.
Je verrai le printemps, les étés, les automnes;
Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féériques palais.
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin.
L'Emeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre;
Car je serai plongé dans cette volupté
D'évoquer le printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon coeur, et de faire
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.
Il était tard; ainsi qu'une médaille neuve
La pleine lune s'étalait
Et la solennité de la nuit, comme un fleuve
Sur Paris dormant ruisselait.