Citations sur L'homme qui court (26)
Lorsque ma mère parlait de la silhouette dépenaillée qui détalait dans les sentiers d'Ashgrove, elle disait toujours "le drôle de type", mais Joseph n'avait jamais trouvé quoique ce soit de drôle à l'Homme qui Court. Il était, au sens propre du terme, de l'étoffe même des cauchemars.
Joseph l'appelait l'Homme qui Court par ce que c'est exactement ce qu'il faisait - il courrait et courrait , sans arrêt. Mais pas avec une grâce athlétique ; il se déplaçait plutôt d'une étrange démarche chaotique, bancale, comme s'il était poursuivit par des démons qu'il était seul à voir.
- Peut-être, répondit Tom Leyton, était-ce encore une leçon qu'il voulait que son fils apprenne, sur la vie...
- Quelle leçon ?
- Que ça peut toujours être pire.
- Autrefois, pour moi, lire était comme respirer.
Pendant que les dernières pages finissaient de défiler, Joseph regarda Tom Leyton observer le livre comme un père penché sur le cercueil de son enfant.
- Que s'est-il passé ?
- Un jour... j'ai juste arrêté de respirer.
- On dirait un homme normal.
Dans le silence qui suivit, Joseph sentit une présence se dresser derrière lui. Lorsque Tom Leyton finit par parler, ses paroles lui firent l'effet de lourdes pelletées de terre jetées au fond d'une tombe.
- Comme la plupart des monstres.
Je ne sais pas si je crois à quoi que ce soit ou non. Je ne sais même pas s'il existe encore quelque chose en quoi croire, pour quelqu'un comme moi... Mais je sais que pendant plus de trente ans j'ai eu peur de m'émerveiller, de rêver, à cause des cauchemars que j'avais dans la tête. Tu as changé tout ça. Tu m'as changé, moi. Je me sens... Il y a des moments où je me sens comme un papillon... qui vient de sortir de son cocon... Sauf que je ne sais pas en quoi je suis changé... Ni ce que je dois faire maintenant... Ni pourquoi on m'a donné des ailes, si elles sont à ce point froissées et inutiles...
Quel est celui qui peint vraiment un arbre? L'artiste qui s'est contenté de le voir, ou celui qui s'est assis dans son ombre, qui a respié son odeur de ses fleurs, écrasé ses feuilles entre les doigts, senti sa sève collante sur sa peau, qui a grimpé dans ses branches et s'est éraflé les tibias sur son écorce?
"Mais il est plus facile de se débarrasser d'un rêve que d'un cauchemar."
"Il ne peut plus rien faire d'autre...Survivre et c'est tout...Passer d'une journée à la suivante."
- Dans la vie, il se produit parfois des choses qu'on n'avait pas prévues. Des choses qu'on voudrait pouvoir effacer, sauf que c'est impossible. Mais ces choses ne sont pas nous, même s'il arrive qu'on le croie et qu'on se déteste à cause de ça, jusqu'à la fin de ses jours.
C'était exactement la même chose avec ces reproductions que son ancien professeur de dessin, Monsieur De Groot, avait montrées des premiers tableaux faits par les colons européens, en Australie. Les paysages ressemblaient à des paysages anglais, et les kangourous à des lapins géants. Les artistes peignaient-ils ce qu'ils voyaient ou ce qu'ils croyaient voir ? Ou peignaient-ils tout simplement ce qu'ils avaient envie de voir ?