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Critique de JeanLouisBOIS


Des héros qui ne manquent pas de personnalités.
Pierre Bayard a conservé son âme d'enfant. Il adore jouer et joue au plus vieux et au plus simple des jeux d'enfant : le « et si ? ». Il exerce cependant son imaginaire comme professeur de littérature et psychanalyste : Et si Tolstoï et Dostoïevski n'étaient que les pseudonymes d'un seul romancier ? Cet écrivain s'appellerait Léon-Fiodor Tolstoïevski. Il aurait une biographie (pages 20 à 28). Il serait le plus grand écrivain russe n'ayant jamais existé et aurait une oeuvre d'une richesse hors du commun … Bon, je sens que si je continue de cette manière, beaucoup de candidats lecteurs ne vont pas prendre au sérieux L'Enigme Tolstoïevski, ce qui serait une erreur ! Alors prenons le problème par l'autre bout : Qu'est-ce qui a poussé Pierre Bayard à rapprocher, à fusionner deux écrivains aussi dissemblables ? Ils sont russes, de la seconde moitié du 19ème siècle, ils sont l'expression de cette fameuse «âme russe »? Certainement pas. Mais comme il s'en explique lui-même (page 15) : « il s'agira de tenter de mieux nous comprendre à la lumière de l'oeuvre de Tolstoïevski en essayant d'imaginer quelle représentation du psychisme la lecture de ses romans pourrait permettre de construire à titre de fiction plausible. » Son but est donc une analyse du psychisme humain à partir de personnages de la fiction littéraire. le jeu s'avère ainsi beaucoup plus sérieux !
Que ce soit dans les passions, la destruction ou la réconciliation, chaque personnage ne présentent, ne manifestent pas un caractère simple, univoque mais différentes attitudes parfois contradictoires entre elles. Pour Bayard, il s'agit de personnalités multiples présentes chez un même individu mais qui peuvent chacune prendre le pouvoir, dominer les autres pour un temps donné dans un contexte donné. Il vient s'opposer, du moins partiellement, avec cette théorie à la psychanalyse classique qui prétend enfermer les individus dans une ambivalence de comportement caractéristique de l'inconscient. Il essaie ainsi de mieux comprendre le psychisme humain grâce à la littérature qui joue le rôle de laboratoire, Toltoïevski présentant le paroxysme de la mise à nu des comportements humains. le problème soulevé par l'auteur tient au fait que reconnaître à un homme des personnalités multiples revient à la dissolution du « je » ce qui peut être traumatisant pour l'individu et inextricable pour la société en ce sens qu'elle ne pourrait plus condamner une personne dont seule une de ses personnalités est coupable des délits ou crimes dont on l'accuse. Là se situe d'ailleurs la plus grande faiblesse du livre qui ne reconnait pas aux hommes la force morale, la responsabilité, la volonté de contrôle de chacune de ses actions, fussent-elles accomplies par des personnalités différentes. La deuxième faiblesse tient dans ce qu'il appelle « l'éthique du langage » (p.159) consistant à bannir le « je » et le « tu » comme faisant référence et imposant à soi-même et à ses interlocuteurs une personnalité unique. Il faudrait les remplacer par « nous » et « vous » : Belle idée abstraite mais difficilement réalisable (avec, en plus, son petit air Louis XIV). Dernier faiblesse, mineure celle-ci, l'utilisation répétée du concept de « Toltoïevski » tout au long du livre devient un peu lourde à la longue.
Mis à part ces quelques restrictions, la théorie des personnalités multiples permet de mieux comprendre la violence des luttes autant extérieures qu'intérieures exacerbées dans les romans des deux auteurs russes et qui, semble-t-il, dépassent leurs intentions. Cette théorie peut avoir des effets positifs en permettant au lecteur de mieux s'appréhender dans certaines limites et de faciliter ses relations avec les autres, multiples eux aussi. En résumé, un excellent essai sur les relations mutuelles entre littérature et psychisme et qui donne envie de lire ou de relire à partir de ce nouvel éclairage les oeuvres de « Toltoïevski ». Pour moi, ce sera le Double de Dostoïevski !

Lien : https://www.franceculture.fr..
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