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Critique de gerardmuller


La mort du petit cheval
Hervé Bazin (1911-1996)
Dans « Vipère au poing », roman largement autobiographique, nous avions fait connaissance avec la famille Rezeau : Jacques le père, docteur en droit professeur à l'université, Paule la mère, la redoutable et inénarrable Folcoche rebaptisée à présent la Vieille, et les trois fils, Ferdinand dit Fred ou Chiffe l'aîné, Jean le cadet dit Brasse-Bouillon et Marcel le petit dernier dit Cropette.
Quelques années plus tard, nous sommes en 1933, on retrouve Jean, le narrateur. Il a dix huit ans et séjourne pendant les vacances chez son oncle Félicien Ladourd, dirigeant d'une fabrique d'objets de piété, la Santima, dont Jacques Rezeau est un des actionnaires. Une paix rêvée ! Mais à présent bachelier, Jean doit songer à une carrière dans le droit. Sa mère ne peut évidemment pas l'abandonner plus longtemps à d'incertains contrôles et aux fantaisies de son inspiration, éventuellement sentimentale quand on sait que la famille Ladourd a sept enfants, un garçon l'aîné et surtout six filles. À dix huit ans, Jean n'a jamais eu d'intimité qu'avec lui-même, et ses proches n'ont jamais été pour lui que des commensaux. Il ne s'est lié avec personne durant les années de collège.
La maison de son oncle Félicien avec ses six filles a tout d'un gynécée pour Jean qui tarde à faire son choix.
Les parents sont encore en Guadeloupe où son père a été nommé. La vie est belle ! Jean parmi les six jouvencelles a enfin sa préférée : l'aînée bien sûre, la ravissante Michelle, dix neuf ans, fine et la poitrine palpitante vouée à la romance…
Mais des années de haine n'ont guère préparé Jean à l'amour et l'apprentissage du bonheur et de la liberté pour échapper à l'oppression familiale est difficile. le droit de plus ne l'intéresse pas vraiment et s'il ne tenait qu'à lui, il irait séance tenante revendre ses bouquins et partirait trouver du travail à Paris. S'esbigner pour avoir mauvaise conscience n'est pas son style finalement et il se demande pourquoi faut-il si longtemps exister avant de vivre, demander avant de prendre et recevoir avant de donner.
Ses parents lui refusant tout argent de poche, Jean a trouvé des petits boulots en dehors de ses heures de cours de droit afin de pourvoir à ce besoin qu'il a de vivre, et notamment à la Santima chez Félicien son oncle. Quand il a un moment, il rend visite à Michelle. Mais la Vieille veille et ne peut supporter de voir Jean s'accorder tant de liberté, et menace : il devra quitter la chambre de Mme Poli et rentrer en internat avec la discipline inhérente, et également cesser le travail chez Félicien et toute visite à Michelle. Sur ce, toute affaire cessante, Jean fait sa valise en un rien de temps, ne pouvant supporter plus longtemps de voir sa mère craindre son bonheur après l'avoir forcé à faire du droit, et désirer uniquement sa insoumission pour en tirer un argument pour l'éliminer, rendre ses études précaires et son avenir incertain.
À présent il apparaît à Jean qu'il est moins urgent de combattre la Vieille que de la rendre à l'impuissance par un bonheur qui puisse l'offenser. La dernière arme de sa mère plus tard sera la médisance, car la calomnie est la dernière ressource de l'impuissance.
Parti à Paris, il va aller d'emplois précaires en petits travaux tout en étudiant. Les rencontres féminines se succèdent après la rupture minable avec Michelle. Ce sera notamment Emma une brève rencontre au 7e étage de sa pension, et durant deux ans une vie de l'importe quoi avec d'innombrables n'importe qui. Puis Paule Leconidec, sa voisine de pallier, telle une vraie mère enfin pour lui, d'une grande tendresse, certes équivoque, une partenaire plus très jeune mais d'une grande âme devenue pure à force d'être gratitude.
Puis ce sera Monique, l'unique, au sourire venu de très loin qui lui suffit pour dire bonjour, qui ne parle pas beaucoup, une vertu si rare chez les femmes pense Jean. Jean qui a connu la haine et qui découvre l'amour songe alors que si la haine est un combat, l'amour est un pacte tout en ayant les apparences d'un combat. Il la connaît à peine cette inconnue et bénit le hasard qui la lui a donnée mais qui peut la lui reprendre. Il se demande comment il se fait qu'il tienne si fort à cette étrangère et constate avec bonheur qu'au pied de leur intimité, il n'y a pas cette épaisseur de vieille vie, ces détritus d'histoire commune, ce terreau des familles qui rend vivaces les plus belles comme les plus atroces végétations de sentiments. Monique lui offre ses petites manies, ses péchés véniels, ses quarts de silence, son déshabillage éclair et son petit sein dur… Ils s'entendent bien, ils s'aiment. Certes les hommes sont jaloux du passé alors que les femmes le sont du présent : un homme préfère être le premier amour d'une femme tandis qu'une femme préfère être le dernier amour d'un homme. Monique était sans passé. Tout va bien.
Mariage de Jean et de Monique, deuil de Jacques Rezeau et l'ultime querelle à quatre pour l'héritage : Folcoche, Marcel le préféré de sa mère et le secret de sa filiation, Fred et Jean vont s'affronter une dernière fois : les derniers chapitres sont hallucinants de haine et la magnifique exécration que Jean a de tout temps voué à sa mère touche à son paroxysme. Les dernières salves échangées entre Jean et sa mère atteignent des sommets de détestation.
Et Jean de conclure quand sa mère s'en va : « Ô ma jeunesse, je ne t'invoquerai plus. Tu ne t'effaces pas, tu t'estompes comme cette femme qui n'est plus qu'un point noir au bout de la rue, qui lutte contre une rafale et qui semble emporter l'hiver avec elle. »
Un chef d'oeuvre au style acide mais sublime, une analyse d'une cruauté rare. Un réquisitoire contre l'oppression familiale.

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