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Critique de JBLM


JBLM
13 septembre 2023
Plutôt une bonne surprise, de la part d'un auteur dont je ne connaissais que l'adaptation cinématographique de Vipère au poing, oeuvre avec laquelle on relève assez facilement la principale concordance avec le roman ici évoqué, à savoir l'exploration du visage sombre de la structure familiale.

L'intrigue de L'huile sur le feu est principalement d'ordre policier. Dans le village, un incendiaire sévit chaque soir de mariage. Toute l'histoire consiste, à travers les réminiscences soit vécues soit imaginées d'une jeune narratrice, à découvrir le coupable et ses mobiles. de ce point de vue, on notera un style vraiment très particulier dont les premiers paragraphes du livre sont typiques. Alors que l'on commence sur la description d'une ambiance de déluge nocturne, on glisse imperceptiblement vers la poursuite d'une ombre. On sait que le texte cherche à attirer notre attention sur elle, tout en la dérobant, en la perdant délibérément au coeur des ténèbres, mais il y revient, par petites touches suggestives de plus en plus denses, et lorsque cette ombre finit par prendre toute la place, le crime est déjà commis. le schéma se répète à plusieurs reprises, faisant de chaque phase descriptive un peu emphatique une annonce informelle du drame à venir. Comme dans tous les récits policiers, il n'y a que quelques figures qui se distinguent parmi les villageois, autant de suspects pour le lecteur évidemment, même si on a rapidement l'intuition de l'identité du pyromane et que sa révélation, peu surprenante, a lieu non pas à la fin, mais vers les deux tiers du livre, de quoi aménager un final en apothéose où se confondent les figures du héros et du criminel.

Pour autant, cette ambiance bien réelle de récit policier sans véritable enquêteur se partage l'intrigue avec un tableau assez dramatique de la vie domestique. C'est certainement la dimension la plus prenante du récit, la perspective de cette gamine de 16 ans (oui, je dis gamine parce qu'elle se comporte et qu'on la traite comme si elle avait la moitié de son âge), systématiquement collée à son père, bloquée au milieu d'un ménage en plein naufrage. le personnage de la mère est certainement l'un des personnages les plus odieux que j'ai jamais croisé dans un livre. Messieurs, si vous croyez que votre femme fait tout pour vous excéder, je vous défie de refermer ce livre avec le même sentiment. Révulsée par son mari, qui est rentré affreusement brûlé de la guerre, elle n'apparaît dans le texte que pour oeuvrer à obtenir un divorce que le comportement exemplaire du père lui interdit : crises de colère, vexations, humiliation publique, ignorance délibérée de sa présence, tentatives pour monter sa fille contre lui, voilà un panorama non-exhaustif de ce que cette femme peut inventer pour pousser ce mari irréprochable à un geste malheureux, coupable mais humain, soit envers elle, soit envers lui-même, qui le priverait pour toujours de les revoir, elle et sa fille. Même moi, qui ne suis qu'un observateur extérieur et pas la victime de cette furie domestique, je me suis surpris à moment donné à l'insulter à la lecture d'un procédé particulièrement hideux. Et pourtant, la fille refuse de préférer l'un de ses parents à l'autre ; même témoin des mensonges et des manipulations de sa mère, elle ne lève pas le petit doigt pour la confondre parce que sa mère fait autant partie d'elle-même que son père. Il en ressort donc une image assez ambiguë de la famille qui, même en unissant des caractères incompatibles qui s'exaspèrent jusqu'à la haine, peut susciter des liens de dépendance et de fidélité.

Pour ce qui est de l'environnement du récit, on ne peut pas dire que l'univers mesquin et sournois du village soit particulièrement attachant, ni les manies plus ou moins séniles des uns, ni les sordides rivalités des autres. L'humanité du récit est uniformément médiocre, même si on peut tempérer cette sentence pour le père et de sa fille, eux-mêmes assez instables mais d'une façon plus subtile. le contraste avec les actes d'héroïsme ou les scènes de cataclysme, à la dimension presque épique, en est d'autant plus marqué qu'ils s'expriment dans un cadre et à une échelle apparemment insuffisants pour les contenir. On n'atteint pas la dimension pathétique d'un Zola, mais l'humanité du roman, contrairement au mode de raisonnement abscons de la narratrice, y fait penser avec ses ridicules et ses ironies, à la différence que le discours de l'auteur n'est absolument pas moralisant.

Histoire terrible et sombre fusionnant le policier et le familial, personnages mémorables et écriture pessimiste fortement empreinte de poésie.
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