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Critique de berni_29


Vipère au poing appartient à notre mémoire collective, la mémoire de l'école. Il m'a ramené à l'élève que je fus. Je me souviens d'avoir lu en classe de cinquième Vipère au poing. C'est ainsi que j'ai découvert en même temps que ce livre son auteur Hervé Bazin. Je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui ce livre continue d'être étudié à l'école... Je serais curieux de le savoir...
En le relisant et en abordant les premières pages, je craignais de revenir à un récit qui me paraissait devenu un peu daté. Quelque chose qui sent la naphtaline, l'encaustique sur des meubles anciens et vermoulus.
Le narrateur est Jean, alias Brasse-Bouillon, ce n'est pas un surnom donné par ses camarades d'école, - d'ailleurs il ne va pas à l'école, mais tout simplement par sa mère. Cela vous donne le ton. M'est avis que le narrateur ressemble comme deux gouttes d'eau à l'auteur qui raconte ici quelque chose qui ressemble de près à un pan de sa jeunesse... Bon, ce n'est pas un secret, ce récit est quasiment une autobiographie de l'enfance de l'auteur.
Nous sommes dans les années vingt, en terre rurale, craonnaise précisément. Années vingt, entendez par là 1920 bien sûr... Jean et Ferdinand Rezeau, deux frères, sont élevés par leur grand-mère paternelle dans le manoir familial de la Belle Angerie, tandis que leurs parents séjournent en Indochine avec le plus jeune des trois enfants, Marcel. À la mort de leur aïeule, la mère des enfants, de retour d'Asie, reprend ses droits. Jugeant l'éducation de leur grand-mère trop laxiste, elle entend bien remettre ses fils dans le droit chemin. Rapidement, elle leur inflige des souffrances et des humiliations de toutes sortes. C'est ainsi qu'elle héritera à son insu du nom, du beau nom de Folcoche...
Ici cette famille fait partie de la vieille France traditionnaliste, un mélange d'aristocratie et de bourgeoisie, qui côté aristocratique tente de tenir son rang et qui côté bourgeois ne parvient malheureusement pas à s'enrichir. Pire elle s'appauvrit de jour en jour.
Le rang, c'est celui d'une vieille famille française ultra catholique devenue pauvre à force de ne pas travailler, malgré les terres qu'elle possède. Elle est si pauvre que cela lui coûte moins cher d'engager un précepteur, - un ecclésiastique bien sûr, que d'envoyer les enfants en pension...
Ils ont aussi cette horrible valeur chère au catholicisme, la charité, dégoulinante de belles intentions, mais toujours assortie d'une condescendance, d'un mépris, pour la classe des plus humbles, des plus démunis.
Le narrateur s'en délecte pour égratigner ces valeurs familiales, et moi aussi.
La violence de la mère, la lâcheté du père qui, sous prétexte de chercher la paix familiale, le moins de vague possible, ferme ses yeux veules, détourne son visage vers sa faiblesse et sa médiocrité. Tout d'un coup mes mains tremblent, non ce livre hélas ne sent pas le rance ni l'encaustique... Tant de familles fonctionnent encore comme cela... ! L'un se tait, tandis que l'autre donne les coups.
Le père, parlons en... Il était enseignant jusqu'à ce qu'il revienne d'Indochine. C'est un scientifique, spécialisé dans la diptérologie. Désormais, il passe ses journées à chercher, observer, capturer des mouches rares. À les gober aussi auprès de sa dominante et colérique épouse.
La vocation de certains écrivains s'est-elle forgée sur cette haine sourde ou bruyante, ce terreau familial insupportable, destructeur, ils sont légion à défiler sur les plateaux télés, notamment à La Grande Librairie, et nous autres qui avons connu une enfance heureuse, nous sommes parfois ébahis, sidérés, gênés presque de les voir convier le bruit assourdissant et douloureux des souvenirs de leur enfance, à la façon d'un règlement de comptes.
J'imagine que l'écriture est dans ces cas-là un expiatoire, une thérapie, une manière de se sauver, sauver sa peau...
Certains mettront sur le visage de Folcoche un visage cinématographique marquant, celui des actrices qui ont interprété ce rôle phare, peut-être celui récent de Catherine Frot qui n'a rien à voir avec celui qu'elle tenait dans Un air de famille, d'autres se souviendront de celui d'Alice Sapritch, qui n'a rien à voir non plus avec son interprétation dans La folie des grandeurs, quoique... Dans le grotesque et le ridicule, Folcoche sait aussi y faire...
Moi, j'y ai mis celui du visage des mots, ces mots qui dessinent mon imaginaire, mes représentations quand je lis. Mon imaginaire aime dessiner les visages des personnages que je rencontre dans les romans. Ici Hervé Bazin a réjoui mon attente.
C'est un conte cruel d'une enfance malheureuse, qui forge un enfant à construire son existence sur le combat contre sa mère. C'est terrible.
Comment une mère peut-elle accueillir en son coeur, en son sein, le vertige digne des guerres, nourrir de cette ivresse affreuse les combats impitoyables et machiavéliques contre ses enfants ? Quel est ce coeur indigne capable de cela ?
Ce texte laisse entendre la voix, la tyrannie, la haine d'une mère odieuse obsédée par la rigueur et des règles qu'elle croit souveraines pour protéger le rang familial, cette mère dont le narrateur a peur au début, puis c'est une mère qu'il va détester progressivement, haïr, la désirer en même temps pour le plaisir insolent et ambigu de lui donner rendez-vous et ferrailler avec elle...
C'est un enfant dans l'éveil de l'adolescence, c'est un texte contre les préjugés bourgeois, catholiques.
Et puis, l'écriture d'Hervé Bazin est vive, le ton sarcastique, décochant des répliques qui font mouche, même si le décor social est un peu daté.
Non, finalement ce récit n'a pas pris une ride.
J'ai aimé revenir à ce texte.
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