Le vieux avait l’œil.
Toujours sur le qui-vive, elle se cachait quand elle l’entendait, car les injures pleuvaient, autant que les coups de pied et les coups de poing. Pour les éviter, elle avait appris à ruser. Elle s’enlaidissait. Si un insecte la piquait, elle se grattait jusqu’au sang pour paraître encore plus hideuse. Vêtue de braies raidies par la crasse et d’une chemise poisseuse, elle tenait les regards à distance. Tant qu’elle n’aurait rien d’une fille et serait affreuse, ces hommes en mal de femmes la laisseraient en paix.
À tout prendre, elle préférait les sensations que Béranger faisait naître en elle quand il la touchait. Cela, c’était l’amour de la peau, un amour facile à supporter. Il suffisait de fermer les yeux et de se laisser emporter.
— La blondeur n’est pas une tare, petite. Elle est chantée par les poètes.
— Maître, vous vous trompez. Les belles femmes sont brunes, le vieux disait toujours…
Rien de tel pour commencer la journée. Des gaufres, du miel ou de la confiture, et on retrouve la joie de vivre !
Le Grumelard, il est pas très beau, mais il a du bien. Si tu sais y faire, avec l’argent que tu rapporterais, on pourrait prendre une servante. Ces filles de la campagne, elles sont pas bien malignes, mais certaines sont vaillantes et obéissantes.
Elle venait d’avoir seize ans. Sa féminité s’épanouissait et la poussait à écouter son corps dont elle appréciait la douceur et les rondeurs. Le soir, lasse de le comprimer dans des pièces de drap rêche, elle se rendait à la fontaine pour le délasser.
L’odeur de la cervoise et du petit lait l’entouraient de remugles déplaisants qui collaient à sa peau à cause de la sueur, et elle peinait à s’en débarrasser. S’asseoir dans l’eau fraîche et laisser le bien-être la pénétrer, la faisait gémir de bonheur, aussi attendait-elle que la nuit fût tout à fait noire pour prendre un bain.
Il aimait parler des graines, bonnes et mauvaises, qu’il faut absolument séparer. C’était son devoir : séparer les graines et ne dire des messes que pour ceux qui payaient.
Pour la première fois de sa vie, elle avait des amis, des êtres qui dépendaient d’elle et qu’elle devait protéger. Les deux levrauts avaient rejoint l’alouette et la colombe dans son cœur, elle leur parlait et caressait la douceur de leurs longues oreilles.
Il la prenait sur ses genoux et l’appelait « Mon trésor », il pétrissait ses seins et caressait ses cuisses. La grosse vache mugissait et se faisait câline pour avoir le droit de boire dans son gobelet ou de finir ses restes.
Les Anglais ne commandaient pas aux éléments, mais, depuis leur venue, tout allait de mal en pis. Les récoltes se raréfiaient et la disette lançait sur les routes des miséreux qui n’avaient pas de quoi payer.