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Critique de JulienDjeuks


Imaginez qu'on envoie aux quatre coins de la France des enquêteurs à la rencontre de tous les Français qui présentent des symptômes du malheur et d'amasser et de mettre en ordre leurs doléances. Dans ces comptes-rendus, les gouvernants pourraient trouver de quoi concevoir les meilleures réformes, les actions politiques les plus justes afin de corriger les dysfonctionnements du système. Au lieu de cela, n'écoutant que les vieilles théories libérales revivalistes (du début XIXe siècle) sur la responsabilité de chaque individu face à son échec, ils laissent le système marchand définir lui-même ses règles, écartant avec énergie l'idée que c'est ce fonctionnement même - l'autonomie du monde économique sur les autres champs (comme le développe Karl Polanyi) - qui ne tenant compte de rien d'autre que lui-même et son expansion, crée des poches de rancoeur, des cloques de souffrance, un malaise qui gonfle gonfle davantage. Ces enquêtes pourraient être rapprochées des reportages de l'émission "Les Pieds sur Terre" de France Culture, mais spécialisées sur ceux qu'on n'entend pas ou ne veut pas entendre. Ceux qui sont en prison et sont retranchés de la société, ceux qui sont en hôpitaux psychiatriques et en sont retranchés, ceux qui sont handicapés et sont retranchés, ceux qui ont perdu goût à la vie et sont retranchés dans leur maison, les femmes qui travaillent à domicile et n'apparaissent nulle part dans les chiffres ni dans l'espace public, les sans-papiers travaillant sans existence administrative, ceux qui travaillent tant que plus personne ne voit... Quelles parts de la France ne voit-on plus ?

Cet ouvrage collectif est une tentative réussie de renouveler le travail effectué treize ans plus tôt dans La Misère du monde, par un groupe de sociologues emmenés par Pierre Bourdieu (l'absence d'un grand nom pour ajouter à l'écho de ces nouvelles enquêtes est-elle regrettable ?). le nouveau titre se fait moins lyrique - quoique tout aussi beau - et plus ajusté à la situation française et aux constats des chercheurs qui ont participé à l'enquête : s'il y a des marginaux qui font du bruit et se voient de loin (SDF alcooliques, racailles hors-la-loi, chômeurs flemmards, handicapés inutiles, prostituées indécentes, migrants envahissants...), les clichés de l'adjectif additif donnent une vision restreinte des personnes touchées par la misère. Il existe quantités d'autres cas sociaux ignorés, des portions grandissantes de la population française - à commencer par les travailleurs pauvres et les sous pression (avec le chômage la vie se situe entre ces trois positions peu attractives...), les jeunes qui ne trouvent pas de vrai travail (les fameux moyens de de ne pas rémunérer le travail, voire même de faire payer le travail aux travailleurs ! - en rendant payant la formation ou le matériel nécessaires par exemple), les vieux qui ne devraient pas en avoir besoin, les homosexuels des quartiers (l'ouverture des moeurs est bien sûr géographiquement et sociologiquement très relative)... -, autant de caractères qui pourraient grossir les rangs des Misérables, méritant tout autant la défense lyrique d'un Victor Hugo, ou donc d'une armée de sociologues, pour dire que non ils ne sont que très partiellement responsables de leurs malheurs, que ce sont bien davantage les orientations politiques qui font qu'ils se retrouvent dans les failles de la société (autant de témoignages de parcours qui semblent autant d'Oedipe faisant tout pour échapper à un destin tragique inévitable). La solidarité nationale, constamment remise en cause et de plus en plus, devrait au contraire concerner bien plus de monde et être plus généreuse, pour compenser la destruction sociale, contrepartie inévitable de la croissance ultra-accélérée de certaines franges de plus en plus restreintes et de plus en plus bavardes de la société. Il serait peut-être temps de redéfinir le système économique afin qu'il favorise un développement plus harmonieux de la société plutôt que de se plaindre d'une redistribution dysfonctionnelle et trop coûteuse.
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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