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Critique de oblo


De toutes les grandes figures historiques françaises, Jeanne d'Arc est peut-être celle qui intrigue le plus. Par l'époque à laquelle elle vécut, par son passage aussi fugace qu'éternel dans L Histoire, par l'ensemble des codes qu'elle représente ou bien qu'elle brise, la native de Domrémy suscita une historiographie dense, et même l'Eglise la reconnut sainte en 1920. "Encore une Jeanne d'Arc", commence Colette Beaune. Certes. Mais l'angle d'attaque de cette biographie n'a rien à voir avec les habituels livres du même genre, souvent factuels (ce qui n'est pas un défaut).

Colette Beaune propose une biographie imagée : quelles représentations (tant littéraires qu'artistiques) avons-nous de Jeanne, et qu'est-ce que ces représentations disent de Jeanne et de son époque ? A chaque étape de la vie de Jeanne d'Arc : son enfance à Domrémy, le départ pour Chinon, le siège d'Orléans, le sacre à Reims de Charles VII, sa capture à Compiègne et son procès à Rouen, Colette Beaune décrypte l'ensemble des éléments qui nous sont parvenus. le fait historique passe presque au second plan, au sens où l'auteure de s'intéresse pas aux faits et gestes quotidiens de Jeanne, ni à ses relations avec ses compagnons d'armes, tout comme elle ne décrit pas les batailles auxquelles Jeanne prend part. Toutefois, elle examine, enquête, se sert de sources qui, au regard de la très courte période durant laquelle Jeanne d'Arc opéra pour le roi de France (à peine deux ans), sont extrêmement nombreuses.

La biographie thématique ici proposée a le mérite de poser un regard total sur une époque (le XVème siècle) et une société (la société médiévale française). Pêle-mêle, on retrouve le thème de la frontière (Domrémy est alors aux confins du royaume de France et de la Lorraine : la frontière est tout à la fois un lieu suspect car en marge et c'est là où s'affirme le plus la loyauté à un camp politique), celui des noms de Jeanne (les noms de Pucelle ou de bergère révèlent tant des états dans la société qu'ils indiquent des caractéristiques attendues pour la personne qu'ils désignent), celui de son statut : sainte pour les uns, magicienne pour les autres, sorcière même parfois. Il est intéressant de constater que chacun de ces thèmes servit lors des deux procès de Jeanne : celui de 1431 qui la condamna pour hérésie, celui de 1456 qui annula le premier.

Les voix, par exemple, que Jeanne entend d'abord à Domrémy, puis de façon de plus en plus répétée lors de sa chevauchée entre Chinon, Orléans et Reims, prouvent tant sa filiation spéciale avec Dieu qu'elles jettent le soupçon sur l'identité de ces voix, qui pourraient bien être celles de démons. La question du parti auquel appartient Jeanne (Armagnacs et Bourguignons sont en guerre depuis les assassinats respectifs de Louis d'Orléans et de Jean Sans Peur) est délicate : si Jeanne a bien en haine les Bourguignons, et qu'elle agit pour la libération d'Orléans (qui est le corps symbolique du duc d'Orléans, prisonnier en Angleterre), elle ne peut se dire pour les Armagnacs. Car sa mission vise à l'unité du royaume de France ; or, les Bourguignons sont de langue française. de même, l'appellation de bergère rappelle aussi bien l'innocence et la pureté (qui plaisent à Dieu) qu'elle insiste sur la marginalité de l'individu.

Jeanne d'Arc fut une figure énigmatique. Sans conteste, elle bouleverse les codes de son époque. Cependant, elle épouse également les attentes de son siècle envers ce qu'elle est. Tout d'abord, c'est une femme jeune, issue d'une famille modeste. Femme guerrière, elle s'impose à la fois aux guerriers et aux clercs : elle participe aux conseils de guerre, ce qui est une double innovation : elle est une femme qui parle d'égalité aux hommes, elle est une humble qui se met au niveau des nobles. Quant aux clercs, la relation particulière avec Dieu, le strict respect des usages chrétiens (elle va à la messe, à la confession, communie ...) et son souci du prochain (qu'il soit pauvre ou même Anglais) lui donne une aura reconnue de tous et partout. Nombreux sont ceux qui se pressent autour d'elle pour la toucher. Jusque sur le bûcher, le doute subsiste sur sa nature et certains Anglais craignent fortement d'avoir mis à mort une sainte.

Loin de s'arrêter à Jeanne, Colette Beaune interroge aussi la figure royale, incarnée dans Charles VII, roi de Bourges que l'on moque en 1428, roi de France conquérant de la Normandie et de la Guyenne en 1450. C'est par le sacre, mais aussi par le passage par Troyes (où avait été signé, en 1420, le traité éponyme qui faisait d'Henry V le roi d'Angleterre et le roi de France), tous deux voulus par Jeanne, que Charles VII devient pleinement roi. Accomplissant les gestes symboliques, il légitime l'aventure de Jeanne d'Arc en même temps que le procès de cette dernière, pour hérésie, menace d'opprobre le règne nouveau. C'est pour cela qu'en 1456 un procès en nullité fut fait : le titulaire de la couronne avait bien reçu l'aide de Dieu par l'intermédiaire de Jeanne.

La renommée de Jeanne ne s'interrompt pas avec sa mort. de nombreux épigones apparaissent dans les années 1430-1450 : Guillaume le Berger ou la Pucelle du Mans, entre autres. C'est peut-être grâce au rapprochement de Jeanne du Christ : leur vie et leur mort présentent des ressemblances, tout comme Jeanne ressemblait à sainte Catherine ou à sainte Marguerite par certains aspects. Quoiqu'il en soit, la figure johannique continua d'intriguer et reste, encore aujourd'hui, l'image de l'émanation nationale incarnée en une femme du peuple.
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