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Critique de HordeDuContrevent


« La brûlure mauve de l'aube s'étale sur les murs immaculés de la maison, confère une ambiance sous-marine à notre conversation épuisée ».

Dans une écriture étonnement poétique, cette novella sur le futur de l'Intelligence Artificielle (IA) offre de nombreuses et riches réflexions réalistes sur le devenir de nos sociétés. Parue aux Editions La Volte (la Volte, cette fameuse maison d'édition qui a notamment publié La Horde du Contrevent) dans la collection Eutopia, une collection qui met en scène des sociétés idéales, Stéphane Beauverger offre aux lecteurs un futur utopique qui n'est pas sans flirter avec la dystopie…En tout cas lorsque l'utopie pose question et est remise en cause…

Sylas vit paisiblement avec son compagnon et sa fille sur une île bretonne isolée. La vie est belle et sereine grâce à une Intelligence Artificielle, nommée Simri, conçue pour veiller au bien-être de milliards de citoyens qui lui font suffisamment confiance pour lui déléguer presque toutes les décisions. Sylas, fou de bateaux, passion qu'il partage avec son compagnon, est un ingénieux vigile de cette IA et en connait toutes les arcanes. Cette IA est omniprésente, il suffit de poser une question à voix haute et Simri répond (ça vous rappelle quelque chose n'est-ce pas ?).

« Je repense à ma jeunesse insouciante, à celle de mes parents nés avant Simri, à leur angoisse générationnelle face à son déploiement. À la dernière volonté de notre mère d'être numérisée sous forme de persona domestique. le plus grand drame de notre famille, jusqu'à aujourd'hui. Brave Simri, si parfaitement dévouée à chacun. Typhaine, ma précieuse coccinelle grandissant sur son petit récif sauvage en attendant d'améliorer l'agencement des astres… le ciel comme tremplin, mais happée par le vertige de sa tante ».

Car oui la tante de la fillette, la soeur de Sylas, Calie, décide de venir leur rendre visite. Calie, qui a pris une décision radicale dont la réalisation dépend de l'accréditation accordée par Sylas (il faut en effet l'accord d'un proche pour pouvoir ainsi s'émanciper). le frère appréhende cette rencontre et les arguments qu'il va falloir déployer pour infléchir sa décision, si radicale. Celle de devenir Autonome, c'est-à-dire de vivre isolée sans la protection et le contrôle de Simri. Sans retour en arrière possible. Cette décision signifie pour Sylas ne plus voir sa soeur, accepter de la voir disparaitre sur un de ces territoires libres de l'influence de l'IA. Cette décision n'est pas sans perturber sa fille, si sensible. Non, il ne comprend pas et n'admet pas.

« Pourquoi n'a-t-elle jamais pu se contenter de la sérénité du monde ? Quelles possibilités, quels horizons lui manquaient au point de ne pas se réjouir de l'abondance ? Quelles graines de tristesse avaient germé en elle, qui n'ont pas éclos en moi ? Quel terrain fertile me faisait défaut ? Je ne le saurai jamais. Ou bien je l'ai toujours su. Ma soeur a, je crois, dansé toute sa vie aux carrefours d'insatisfactions éclairées. Irrépressibles. Raisonnées ».

J'ai aimé cette réflexion. Cette IA dirige l'essentiel du monde en procédant par essais, boucles d'interaction, multiplications de pistes possibles avec rejet de ce qui semble être le moins efficace. La vie, basée sur l'entraide et un système de collaborations, est parfaite. Comment est-il possible de vouloir se détourner de ce bonheur pour disparaitre ? Pourquoi avoir besoin de dissonances ? Et comment faire lorsque nous avons la responsabilité d'autoriser ce choix lorsqu'il s'agit de sa propre soeur ?

« La prorogation d'une existence n'est pas moins vertigineuse que la tentation de l'interrompre. La portée d'un miracle peut en dévaster les témoins ».

A ce douloureux dilemme s'ajoute une découverte troublante suite au suicide d'un des collègues de Sylas, Mike : il a très probablement découvert une faille majeure dans l'équilibre cognitif de Simri. J'avoue que les explications liées à cette faille m'ont semblé parfois ardues, je m'y suis un peu perdue. Mais là encore les réflexions que cela engendre sont profondes et nombreuses. En gros Simri, de façon invisible, du fait d'hypothèses non satisfaisantes rejetées, a construit l'autre version de ce monde idéal. Son exact opposé. Son miroir. Un écho morbide. Pour en faire comprendre toute la gravité, Calie n'a rien trouvé de mieux, en tant que musicienne, que d'en faire un son :

« Une cacophonie différente éclate dans les enceintes : une autre voix distordue, un hurlement déchirant, métallique encore, accompagné d'un affreux son de grincement sourd, minéral, comme un effritement de plus en plus rapide qui devient plus humide tandis que la voix se brise. Je ne sais pas pourquoi, je visualise des dents frottées contre une pierre dure, des incisives grattées sur du granite jusqu'aux racines, jusqu'à la pulpe, l'os et l'âme. Et encore ces martèlements rythmés qui confèrent à l'ensemble la cohérence d'une… musique pensée ainsi. Une torture. C'est trop abominable ».

Et nous de nous questionner…vivons nous dans ce monde terrible décrit par Calie ? Les IA permettent-ils d'atteindre son exact opposé ? A quel prix ? Qu'en est-il de notre humanité dans un monde totalement sous contrôle ?

J'ai beaucoup apprécié le style de l'auteur, les interrogations qu'il arrive à soulever dans ce format très court mais efficace de la novella. J'ai trouvé certaines explications un peu trop ardues mais dans l'ensemble ce livre se lit avec intérêt tant les problématiques soulevées sont actuelles. Pour finir, un passage entre le frère et la soeur, troublante d'actualité :

« Tu te rends compte que, là-bas, l'humanité en est arrivée à concevoir l'hypothèse de son extinction sans réagir ? Que, pendant presque un siècle, leurs plus grands esprits ont popularisé une horloge de l'apocalypse symbolisant le décompte avant l'anéantissement définitif de l'humanité, sans qu'aucune mesure sérieuse ne soit prise ? — C'est difficile à imaginer. Il faudrait vraiment une somme écrasante d'égoïsmes ou d'intérêts concurrentiels pour que l'instinct de survie d'une espèce capable d'évaluer ses risques de disparition ne vienne pas corriger sa trajectoire de mort ».

Merci à @Lenocherdulivre pour cette découverte !
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