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EAN : 9782370491190
128 pages
La Volte (07/10/2021)
3.75/5   50 notes
Résumé :
Sylas mène une vie heureuse sur son île. Il fait le métier qu’il aime, dans la maison qu’il aime, entouré des rares personnes qu’il aime. Mieux que ça : il sait que le monde est beau, paisible, fluide grâce à Simri, l’artefact sapiens présidant au confort de l’humanité depuis 50 ans. Une super-IA, en gros, dont le déploiement global a porté l’humanité vers un avenir serein. Sylas partage sa vie entre son travail d’analyste système au service de Simri et sa pas... >Voir plus
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« La brûlure mauve de l'aube s'étale sur les murs immaculés de la maison, confère une ambiance sous-marine à notre conversation épuisée ».

Dans une écriture étonnement poétique, cette novella sur le futur de l'Intelligence Artificielle (IA) offre de nombreuses et riches réflexions réalistes sur le devenir de nos sociétés. Parue aux Editions La Volte (la Volte, cette fameuse maison d'édition qui a notamment publié La Horde du Contrevent) dans la collection Eutopia, une collection qui met en scène des sociétés idéales, Stéphane Beauverger offre aux lecteurs un futur utopique qui n'est pas sans flirter avec la dystopie…En tout cas lorsque l'utopie pose question et est remise en cause…

Sylas vit paisiblement avec son compagnon et sa fille sur une île bretonne isolée. La vie est belle et sereine grâce à une Intelligence Artificielle, nommée Simri, conçue pour veiller au bien-être de milliards de citoyens qui lui font suffisamment confiance pour lui déléguer presque toutes les décisions. Sylas, fou de bateaux, passion qu'il partage avec son compagnon, est un ingénieux vigile de cette IA et en connait toutes les arcanes. Cette IA est omniprésente, il suffit de poser une question à voix haute et Simri répond (ça vous rappelle quelque chose n'est-ce pas ?).

« Je repense à ma jeunesse insouciante, à celle de mes parents nés avant Simri, à leur angoisse générationnelle face à son déploiement. À la dernière volonté de notre mère d'être numérisée sous forme de persona domestique. le plus grand drame de notre famille, jusqu'à aujourd'hui. Brave Simri, si parfaitement dévouée à chacun. Typhaine, ma précieuse coccinelle grandissant sur son petit récif sauvage en attendant d'améliorer l'agencement des astres… le ciel comme tremplin, mais happée par le vertige de sa tante ».

Car oui la tante de la fillette, la soeur de Sylas, Calie, décide de venir leur rendre visite. Calie, qui a pris une décision radicale dont la réalisation dépend de l'accréditation accordée par Sylas (il faut en effet l'accord d'un proche pour pouvoir ainsi s'émanciper). le frère appréhende cette rencontre et les arguments qu'il va falloir déployer pour infléchir sa décision, si radicale. Celle de devenir Autonome, c'est-à-dire de vivre isolée sans la protection et le contrôle de Simri. Sans retour en arrière possible. Cette décision signifie pour Sylas ne plus voir sa soeur, accepter de la voir disparaitre sur un de ces territoires libres de l'influence de l'IA. Cette décision n'est pas sans perturber sa fille, si sensible. Non, il ne comprend pas et n'admet pas.

« Pourquoi n'a-t-elle jamais pu se contenter de la sérénité du monde ? Quelles possibilités, quels horizons lui manquaient au point de ne pas se réjouir de l'abondance ? Quelles graines de tristesse avaient germé en elle, qui n'ont pas éclos en moi ? Quel terrain fertile me faisait défaut ? Je ne le saurai jamais. Ou bien je l'ai toujours su. Ma soeur a, je crois, dansé toute sa vie aux carrefours d'insatisfactions éclairées. Irrépressibles. Raisonnées ».

J'ai aimé cette réflexion. Cette IA dirige l'essentiel du monde en procédant par essais, boucles d'interaction, multiplications de pistes possibles avec rejet de ce qui semble être le moins efficace. La vie, basée sur l'entraide et un système de collaborations, est parfaite. Comment est-il possible de vouloir se détourner de ce bonheur pour disparaitre ? Pourquoi avoir besoin de dissonances ? Et comment faire lorsque nous avons la responsabilité d'autoriser ce choix lorsqu'il s'agit de sa propre soeur ?

« La prorogation d'une existence n'est pas moins vertigineuse que la tentation de l'interrompre. La portée d'un miracle peut en dévaster les témoins ».

A ce douloureux dilemme s'ajoute une découverte troublante suite au suicide d'un des collègues de Sylas, Mike : il a très probablement découvert une faille majeure dans l'équilibre cognitif de Simri. J'avoue que les explications liées à cette faille m'ont semblé parfois ardues, je m'y suis un peu perdue. Mais là encore les réflexions que cela engendre sont profondes et nombreuses. En gros Simri, de façon invisible, du fait d'hypothèses non satisfaisantes rejetées, a construit l'autre version de ce monde idéal. Son exact opposé. Son miroir. Un écho morbide. Pour en faire comprendre toute la gravité, Calie n'a rien trouvé de mieux, en tant que musicienne, que d'en faire un son :

« Une cacophonie différente éclate dans les enceintes : une autre voix distordue, un hurlement déchirant, métallique encore, accompagné d'un affreux son de grincement sourd, minéral, comme un effritement de plus en plus rapide qui devient plus humide tandis que la voix se brise. Je ne sais pas pourquoi, je visualise des dents frottées contre une pierre dure, des incisives grattées sur du granite jusqu'aux racines, jusqu'à la pulpe, l'os et l'âme. Et encore ces martèlements rythmés qui confèrent à l'ensemble la cohérence d'une… musique pensée ainsi. Une torture. C'est trop abominable ».

Et nous de nous questionner…vivons nous dans ce monde terrible décrit par Calie ? Les IA permettent-ils d'atteindre son exact opposé ? A quel prix ? Qu'en est-il de notre humanité dans un monde totalement sous contrôle ?

J'ai beaucoup apprécié le style de l'auteur, les interrogations qu'il arrive à soulever dans ce format très court mais efficace de la novella. J'ai trouvé certaines explications un peu trop ardues mais dans l'ensemble ce livre se lit avec intérêt tant les problématiques soulevées sont actuelles. Pour finir, un passage entre le frère et la soeur, troublante d'actualité :

« Tu te rends compte que, là-bas, l'humanité en est arrivée à concevoir l'hypothèse de son extinction sans réagir ? Que, pendant presque un siècle, leurs plus grands esprits ont popularisé une horloge de l'apocalypse symbolisant le décompte avant l'anéantissement définitif de l'humanité, sans qu'aucune mesure sérieuse ne soit prise ? — C'est difficile à imaginer. Il faudrait vraiment une somme écrasante d'égoïsmes ou d'intérêts concurrentiels pour que l'instinct de survie d'une espèce capable d'évaluer ses risques de disparition ne vienne pas corriger sa trajectoire de mort ».

Merci à @Lenocherdulivre pour cette découverte !
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Troisième texte d'une petite collection aux grandes idées, Eutopia, qui propose des novellas traitant d'utopie (vu le sujet restreint, pas étonnant que seulement trois titres soient sortis à l'heure actuelle), Collisions par temps calme est un petit bijou qui m'a enlevé durant tout le temps de sa lecture. Une utopie sise en Bretagne qui propose, avec calme et sérénité, une réflexion profonde sur notre monde et sur la place possible des I.A. dans notre société. Ainsi que des interrogations sur la famille et le deuil. Un texte d'une grande richesse.

Depuis 2009, Stéphane Beauverger écrivait toujours, mais des nouvelles. Collisions par temps calme est donc son premier texte long depuis plus de dix ans. Ce n'est certes qu'une novella, mais un texte dense d'une richesse qui m'a conquis. Je me rappelle avoir beaucoup aimé le tryptique Chromozone, mais cela ne me certifiait pas une lecture plaisir. Et pourtant, dès les premières lignes l'auteur a su installer une ambiance et me donner l'impression d'appartenir à l'histoire. Il nous colle au personnage et, par petites touches (tout ce que j'aime), il croque son portrait. Ainsi qu'une peinture tout sauf complète du décor, mais avec juste ce qu'il faut de détails pour nous permettre d'y vivre.
Sylas vit sur une ile bretonne, avec son mari et leur fille. Enfin, chacun dans sa maison, pour respecter le travail et la personnalité de chacun. Sa vie semble douillette malgré certains ennuis qui pointent leur nez. Et surtout l'arrivée de sa soeur, Calie, qui vient lui demander quelque chose de grave, de définitif. Quelque chose qui va bouleverser son équilibre. Et malgré cela, on aimerait y être, sur cette ile, à tenir un mug de café chaud dans la main, à se promener sur la plage de sable et à avoir le nez rougi, les lèvres collées par le sel du vent et de la mer. D'ailleurs, on y est, avec Sylas. Et comme c'est agréable.
Par contre, j'ai eu un peu de mal, au début, avec un parti pris de narration assez original. On change, d'un chapitre à l'autre, voire d'un paragraphe à l'autre (mais le changement est visible grâce à un saut de ligne et une étoile), de narrateur : Sylas, pour commencer, puis Calie, après son arrivée sur l'ile. Jusqu'ici, rien de bien nouveau. Sauf que Stéphane Beauverger reprend la scène, non pas là où elle a été abandonnée, mais plusieurs lignes plus tôt. On assiste donc aux mêmes moments vus de l'autre côté. Là non plus, rien d'exceptionnel. Mais quand arrive le dialogue, je me suis dit que l'auteur ne s'était pas trop cassé la tête et que cela ne faisait pas beaucoup avancer l'histoire, puisque les paroles étaient reprises telles quelles. Jusqu'à ce que je m'aperçoive que même la perception du dialogue est changée : les mots différent en partie. Et, donc, le sens des phrases. Plus directes parfois, plus expéditives. La formulation reprend, et nous montre, l'état d'esprit de celui qui raconte. Comme Calie et Sylas apporte leur subjectivité dans l'analyse des données à propos de Simri. Tout est question de regard, de point de vue. Passionnante réflexion !

Mais penchons-nous sur l'utopie, puisqu'utopie il y a, collection Eutopia oblige. Simri (cela rappelle vraiment une autre I.A. déjà en place parmi nous, n'est-ce pas Siri ?) dirige l'essentiel du monde. Les hommes ont délégué à cet artefact sapiens le choix de leur destinée. Elle procède par essais : elle mutliplie les pistes, dans son « esprit » et rejette ce qui lui paraît moins efficace, moins pertinent. Et grâce à elle, tout semble bien aller. de ce que l'on peut voir, de ce petit coin de Bretagne, les gens mènent une vie basée sur la coopération, avec des tâches volontaires à effectuer. Même si on a parfois besoin de se pousser un peu afin d'être volontaire, de voir les bénéfices que l'on peut tirer de ce volontariat en terme de promotion sociale : les humains restent les humains ! Société de la collaboration où tout le monde semble être à sa place donc.
Pas tout à fait. Quelques personnes n'acceptent finalement pas cette vie régentée par une I.A. Quelques personnes ne se satisfont pas de cette euphonie. Il leur faut de la dissonance, dans la vie comme dans la musique. Et c'est le cas de Calie, qui veut fuir cette harmonie qui la ronge. On le sent dans ses compositions musicales insupportables pour son frère : trop fortes, trops brutales. Trop à l'opposé de cette paix intérieure et extérieure conduite par Simri. Il existe alors une possibilité : se réfugier dans l'un des rares territoires encore libres de l'influence de l'I.A. Mais pour cela, il faut couper définitivement les ponts avec le reste de l'humanité. Un choix difficile car sans retour en arrière possible.
Stéphane Beauverger, plutôt habitué aux mondes et aux histoires tragiques, s'est prêté au jeu de l'utopie, mais sans rien lâcher de ses obsessions et de son ton. Car si le cadre de cette novella est un monde utopique, l'histoire en elle-même est tout sauf utopique : on y parle de mort, de remise en question de l'utopie. En effet, Sylas a, de par une de ses tâches volontaires, accès aux « pensées » de Simri (il doit vérifier, comme d'autres, que tout tourne rond, histoire de rassurer l'humanité qui a confié son sort à une machine quantique). Et il découvre des turbulences que Calie s'empresse d'analyser selon son crible. Elle y découvre du sombre, du noir. Mais est-elle objective ? Je m'arrête là pour ne pas gâcher la découverte. D'autant que Stéphane Beauverger, après une mise en place tranquille, multiplie les pistes et les fausses pistes sur la fin, nous proposant de nombreuses voies pour mieux les fermer devant nos yeux. Mais surtout, il nous donne matière à réflexion sur ce choix que nous pourront peut-être faire dans plusieurs années, si la technologie avance comme elle le promet, si les I.A. deviennent réellement « sapiens ».

Je me répète en disant tout le bien que je pense de ce court texte qui m'a enchanté. Retrouver ainsi Stéphane Beauverger a été pour moi une grande joie, surtout avec une novella de ce niveau. Collisions par temps calme, outre un bel objet (la couverture est une réussite, avec sa partie couleur et sa plus petite partie en noir et blanc), est un récit dont il serait dommage de se priver. Sa lecture provoque plaisir et réflexion, introspection et bien-être. En plus, cela ne coûte que 8€. Alors, qu'attendez-vous ?
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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Il n'est pas indispensable de tirer en longueur pour aller en profondeur. En 100 pages, cette novella de Stéphane Beauverger pousse davantage à réflexions que certains romans plus épais.

A contre-courant de la tendance actuelle à voir le futur tout en noir, il nous emporte dans un futur où l'humanité à trouvé le moyen de vivre en harmonie. A l'image du nom de la collection de l'éditeur La Volte, il est même plus juste de parler d'eutopie, lieu du bon et du bonheur.

Le parti-pris est d'autant plus osé que ce résultat positif est la résultante d'un lâcher prise général au profit d'un assistant intelligent nommé Simri. Une IA qui est réellement mise au service du bien-être de tous, au point que chaque humain lui a donné les clés de son existence concernant de nombreuses décisions à prendre.

Un concept qui aurait pu virer vers un totalitarisme déguisé mais qui se révèle réellement bienveillant. Puisque l'évolution de cet artefact informatique reste contrôlé par les hommes.

Le monde s'en trouve apaisé, le défi climatique résolu. Mais ce confort de vie n'empêche pourtant pas le libre arbitre.

Ce texte raconte la (dernière ?) rencontre entre un frère et une soeur. le premier placé à la vigilance de l'évolution de l'IA, la seconde qui le fût avant de prendre ses distances. Et qui vient voir son jumeau pour lui demander une grande faveur.

Dans ce monde qui coule comme un long fleuve tranquille, cette soeur souhaite pourtant s'en extraire, et provoque une vague inattendue.

C'est l'histoire d'un choix de vie, aucunement celui de deux êtres qui s'affrontent. Leurs échanges restent cordiaux. Mais sauront-ils s'écouter ?

En quelques pages, l'écrivain crée son monde et surtout ses personnages, qui prennent vite corps grâce au choix d'alterner leurs points de vue. La lecture se fait vite en immersion.

Et se révèle au fur et à mesure bien plus profonde qu'un seul échange entre jumeaux. Vertigineuse, même, car ce que découvre et ce que décide la soeur devient matière à profonde réflexion pour le lecteur.

Il n'est pas seulement question de satisfaction immédiate, mais vite de considérations plus philosophiques, autour de concepts comme la liberté de choix et la prise de risque. Tout comme de chercher ses propres réponses, même si celles-ci semblent couler de source via l'IA.

Collisions par temps calme est un texte formidable, questionnant et déchirant, d'une belle humanité.

Stéphane Beauverger pousse à la réflexion, en douceur. Utilisant la SF pour la mettre au service de l'individu. Et d'une idée qui se révèle sur la fin d'une dimension étourdissante, autant intellectuellement qu'émotionnellement.

L'auteur du Déchronologue, rien de moins qu'un chef-d'oeuvre de la SF, écrit peu, mais tous ses textes marquent.
Lien : https://gruznamur.com/2021/1..
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Cette novella vaut le détour pour la réflexion qu'elle fait naitre en nous sur le futur de l'IA, alors qu'un frère, vigile de cette IA monde appelée Simri, et une soeur qui revient le trouver pour lui révéler certaines choses et pour en finir quelque part, se retrouvent sur une île...
La narration double selon chaque court chapitre nous fait rentrer dans les pensées de chacun : cela peut être déroutant, mais pas du tout.
Son ami et sa fille vivent aussi sur cet île, où le frère est un féru de bateaux.
Réflexion à la fois sombre et réaliste sur l'avenir de l'IA (brave Simri !), et effectivement il y aura une collision par ces temps apparemment doux et calmes, entrecoupés des duels sémantiques et sociétaux entre le frère et la soeur.
Brave Simri !
Trop brave ?
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Somptueux vertige de la véritable utopie socio-technologique, concentré de quête philosophique bienveillante, pursuit of happiness sans complaisance ni aveuglement : cent pages nettement revigorantes de grand art imaginaire et politique.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/12/12/note-de-lecture-collisions-par-temps-calme-stephane-beauverger/

Tout va vraiment pour le mieux dans le meilleur des mondes, depuis que Simri, vaste intelligence artificielle jadis expérimentale, est devenue de facto et de jure la gardienne omniprésente des intérêts de l'humanité et de la sécurité de chacune et chacun. Ici, les êtres humains ont su construire une entité fondamentalement bienveillante et lui confier les clés de résolution de bien des problèmes qui les menaçaient cinquante ans plus tôt, individuellement et collectivement : la crise climatique a été mise sous contrôle, l'allocation de ressources à l'échelle planétaire a été rationalisée en évitant l'accaparement destructif qui caractérisait largement l'anthropocène, et il y a désormais à l'oeuvre un bonheur palpable et presque généralisé – dans lequel Sylas, ingénieur système membre de l'équipe qui continue à accompagner et superviser le développement permanent de Simri, peut trouver le temps d'élever sa fille à la brûlante curiosité tous azimuts et de concevoir avec son compagnon d'intrépides voiliers avec lesquels courir les océans durant quelques pauses sabbatiques. Pourtant, sa soeur Calie, qui fut une informaticienne proche du génie avant d'abandonner le code pur pour la musique, n'est pas satisfaite : elle vient se tourner vers Sylas, sur son île, pour lui demander le soutien dans une démarche très inhabituelle mais pourtant soigneusement prévue dans les protocoles socio-politiques régissant désormais l'humanité. Calie veut partir, abandonner la protection permanente et le confort procurés par Simri, pour devenir une déconnectée, quelqu'un vivant volontairement en marge du système intégré, livré au monde brut, à ses inconforts et à ses dangers, quelqu'un de facto invisible pour les habitantes et les habitants du monde « normal ». Et voici qu'au moment même où Calie vient concrétiser sa démarche, Simri semble subrepticement explorer des chemins de traverses surprenants voire inquiétants…

Défendre et réhabiliter l'utopie comme forme spéculative, politique et productive : après un long sommeil dans lequel ne se distinguaient somme toute, quasiment que Ursula K. le Guin (« Les dépossédés », 1974) et Kim Stanley Robinson (« La trilogie martienne », 1992-1996) – le cas particulier de Iain M. Banks (et de son Cycle de la Culture, entre 1987 et 2012) sera évoqué un peu plus loin -, tous deux fort justement et logiquement célébrés par les « Archéologies du futur » de Fredric Jameson (« le désir nommé utopie » et « Penser avec la science-fiction », en 2005), consacrées précisément à cet élan utopique indispensable, et par le « Dans les imaginaires du futur » d'Ariel Kyrou, encore tout récemment (2020), un bouillonnement prometteur dans cette direction saisit la littérature, et tout particulièrement sa composante la plus science-fictive, depuis quelques années.

Comme Sandrine RoudautLes déliés », 2020) et Li-CamRésolution », 2019), dont les passionnantes tentatives récentes reposent sur l'abandon volontaire et démocratique, presque contemporain, d'une souveraineté humaine à une forme d'intelligence artificielle, et comme pas si paradoxalement chez Iain M. Banks, dont la société post-rareté située au centre de sa Culture repose à son tour sur la présence massive de machines pensantes, « incarnées » sous diverses formes de vaisseaux spatiaux géants et de drones, dotées d'une infinie et complexe composition de curiosité et de bienveillance (on pourra se reporter par exemple à « La sonate Hydrogène », qui concluait de facto l'aventure en 2012), Stéphane Beauverger, douze ans après son si célébré « le Déchronologue », nous offre avec ces « Collisions par temps calme » une novella incisive de 100 pages, soigneusement débarrassées des fantasmes de la révolte des machines et des nécessaires transhumanismes naissant de la Singularité inéluctable des intelligences artificielles.

Jouant avec une belle ruse littéraire entre les deux points de vue du frère et de la soeur, et avec les décalages infimes ou plus sérieux naissant de leur appréciation différente de la même réalité, des mêmes faits et des mêmes échanges, ne dédaignant pas, bien au contraire, les belles intimités construites entre nature et technique (ou science) que l'on pourrait trouver par exemple chez Jim Lynch (dans « Les grandes marées » en 2005, et davantage encore, l'architecture des voiliers s'en mêlant si joliment, dans « Face au vent » en 2016), Stéphane Beauverger retrouve pour nous la pureté de l'expérience de pensée science-fictive qui ne se dérobe ni à la complexité ni à l'écriture authentiquement littéraire, en un vertige philosophique et politique à la fois somptueusement inattendu et totalement stimulant.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
Ce tremblement serein des charpentes sous le vent. J’aime ce bruit. Il me rappelle que nos lieux de vie sont vivants, à leur façon ; qu’ils demeurent, malgré leurs perfectionnements, ce qu’ils n’ont jamais cessé d’être in fine : des coquilles, des abris, des remparts contre l’hostilité du monde. Même quand celui-ci est apaisé.
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Depuis la terrasse, tasse en main, je regarde les vagues rendre ses galets à la plage. Le vent est froid, grésillant du sel de la marée descendante. Les herbes frissonnent sur le sable gris des dunes. Le ciel est sombre ; le silence, trompeur. Depuis le continent, les lents balayages du phare imposent leur rythme au panorama.
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Je ne partagerai jamais vraiment l’attachement de mon frère pour son île. Je saisis et peux recevoir cet amour dans sa voix quand il observe et décrit les dunes et les vagues, la lente course des nuages vers l’horizon couleur d’eau grise. Mais je ne connaîtrai jamais son affection si charnelle, si palpable, pour ce ballet sauvage de roche et d’eau dont la contemplation le contente entièrement. Cette île est son monde, sa partition, la réponse à son existence. Certaines personnes peuvent se convaincre d’être nées pour entendre telle musique, ou tel poème, rencontrer tel individu ou soutenir telle cause. D’autres savent qu’elles sont liées à un endroit. De tous les paysages de la planète, celui-ci résonne en Sylas. Je comprends, sans éprouver moi-même ce sentiment, qu’il saurait revenir sur cette grève chaque jour et, sans se lasser, réaffirmer son allégeance. Incapable d’un semblable abandon, je l’envie.
– Ici, même le vent est glaz, me dit-il.
– Glaz ?
– C’est un terme local, qui désigne la couleur de la mer. Entre gris, vert et bleu, ça change selon l’heure, la marée ou l’humeur de celui qui regarde. Une couleur qui n’existe vraiment que dans l’œil de l’observateur.
– Une couleur quantique, donc ?
Il glousse en décortiquant l’humour de ma tentative de définition.
– Une vue de l’esprit, disons.
Notre famille n’a jamais eu d’affinité particulière avec le monde maritime. Amateurs de voyages lointains comme tous ceux de leur génération, nos parents nous inculquèrent très tôt cette idée surannée qu’il faut pénétrer profondément dans chaque culture, loin du flux des ports à touristes, pour en obtenir la plus juste représentation. C’était avant que l’ensemble du monde n’arrive dans chaque pièce de chaque foyer à travers les inépuisables capacités de calcul et de projection de Simri. La planète se relevait lentement de nos erreurs. Nous sommes rarement allés en vacances balnéaires. Les navires n’étaient pour nous que le moyen de gagner un nouveau pays à sillonner. Pourtant, d’aussi loin que je me souvienne, Sylas a toujours adoré les bateaux. Je crois même qu’il les aimait avant de savoir qu’ils étaient destinés à naviguer. D’une certaine manière, pour lui, la mer n’est là que pour justifier les voiles et les coques qu’il dessine depuis l’enfance. Et cette île est d’abord l’écrin de ses éléments préférés, le vent et l’eau, creusets de sa passion. J’envie son amour pour ce décor recelant tout ce qu’il a toujours voulu. Un royaume. Un projet. Cet ancrage qui me happe en creux, et que je vais me refuser à employer contre lui quand il sera temps de le convaincre, de parler des choses qui fâchent.
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Sa voix à l’entrée de mon bureau m’arrache à mes dérives.
– Je te dérange ?
– Hein ? Non, pas du tout, entre.
– Je voulais juste te dire que j’aime bien la chambre au bout du couloir, celle avec le miroir derrière la porte.
– Elle est à toi.
– Parfait.
Son regard se fixe sur les graphiques qui s’étalent sur mes écrans.
– C’est un mappage récent ?
– Juste une projection partielle de sa signature nodale.
– Vous guettez un heureux événement ?
– On attend, mais on n’espère pas grand-chose. Depuis l’année dernière, elle semble adopter un modèle plus bâtisseur que logisticien, mais rien ne laisse supposer le franchissement d’un Seuil.
Calie se penche quelques instants sur les flux de données. Officiellement, elle n’a plus l’habilitation requise pour consulter de tels outils. Mais ce n’est pas comme si je trahissais un quelconque secret : après tout, moi-même, je ne fais qu’observer. Elle regarde les synthétisations de trajectoires, les hypothèses de Seuil en attente de concrétisation.
– La dernière fois qu’un Seuil s’est établi, nous habitions encore chez les parents. Tu te souviens ?
– Ça n’est pas près de se reproduire… Ce que tu vois, c’est seulement l’observation d’une tendance, comme il y en a eu des dizaines.
– Tout le monde ne parlait que de ça ! Simri venait d’annoncer que l’énergie gratuite et abondante était désormais une réalité.
– Et après un demi-verre de champagne, tu as déclaré devant toute la famille que tu allais étudier pour rendre Simri encore meilleure. Et j’ai aussitôt renchéri.
– Et on a rigolé et joué toute la nuit pendant que les grands faisaient la fête.
– Tout le monde était heureux. L’espoir, pour tous.
– Oui. Et la promesse est devenue réalité. Un monde heureux qui s’améliore.
– Oui.
– Pour tous.
– Oui.
Sur l’écran, le mappage des motifs cognitifs de Simri poursuit sa lente révolution vers une configuration moins intuitive, avant de refluer vers un pattern plus singulier. D’un doigt rapide, je valide l’enregistrement pour le soumettre à une batterie de vérifications concoctées par les plus brillants statisticiens – Calie comprise. Elle sourit :
– Tu réalises qu’elle fait tout ce que tu fais, plus vite, plus précisément et avec un risque d’erreur infiniment moindre ?
– Et dans sa sagesse, c’est elle qui recommande que nous maintenions notre imparfaite surveillance de sa perfection.
– Brave Simri…
– Brave Simri !
Nous avons prononcé ensemble, mais pas sur le même ton, notre vieille blague de l’époque de nos études. Pour cet instant précis, avant qu’il ne s’étiole, je pourrais serrer ma sœur contre moi, la garder encore afin qu’elle nourrisse et saisisse davantage cette amertume dans ma gorge qui nous a toujours fait nous comprendre sans parler, cette peine qu’elle sait que je sais qu’elle ressent, qu’elle ne supporte plus, mais qui nous relie, ici, maintenant, entre ces écrans et la porte du bureau, dans la lumière diffuse des graphiques, et qui nous intime de demeurer vivants, un peu plus. C’est idiot, je sais qu’elle ne va pas mourir… Mais la perdre ? Je n’y arrive pas.
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La prorogation d’une existence n’est pas moins vertigineuse que la tentation de l’interrompre. La portée d’un miracle peut en dévaster les témoins.
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Vidéo de Stéphane Beauverger
Extrait de "Le Déchronologue" de Stéphane Beauverger lu par Jean Christophe Lebert. Parution le 29 avril 2020.
Pour en savoir plus : https://www.audiolib.fr/livre-audio/le-dechronologue
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Le Déchronologue

Afin de mieux exprimer la déchronologie de son récit et ainsi de favoriser l’immersion du lecteur, à quel procédé Stéphane Beauverger fait-il appel ?

Il décompte les pages à l’envers
Il raconte son histoire à l’envers
Il écrit chaque page dans un sens différent
Il mélange l’ordre des chapitres

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