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Critique de Auboutdupetitmatin


J'ai été encore une fois terrassée par la finesse et la poésie de la plume de de Beauvoir. Comme après chaque livre, je me suis dit : maintenant que De Beauvoir a écrit, rien ne sert d'écrire car personne ne décrit les choses avec une telle précision empreinte de poésie.
Lorsque je lis « Cet instant avait la douceur d'un souvenir et la gaieté d'une promesse » ou encore : « Autrefois je me berçais de projets, de promesses; maintenant, l'ombre des jours défunts veloute mes émotions, mes plaisirs ». Je me dis que tout est dit sur les promesses, les souvenirs et le temps qui passe.

La femme rompue est un recueil de trois nouvelles narrant trois femmes, trois mères prises dans les tribulations de la vie. La première réalise avec douleur que son fils n'est pas le prolongement d'elle même, qu'il vit sa propre vie indépendamment, crée sa propre religion de vie loin, très loin des préceptes et dogmes érigés par sa mère. C'est le délicat moment où la mère prend conscience des limites de l'éducation face à la singularité de chaque individu. le moment où le fils rompt le cordon, refuse d'être l'oeuvre de glaise modelée par les mains d'une mère avide de transmettre. C'est aussi l'histoire du temps qui passe dans un couple dans la fleur de l'âge. Accepter le temps qui passe, en voir les conséquences sur l'autre comme un écho de ce qui se passe en soi même.

La seconde femme rompue est esseulée, une femme Almodovarienne, jeune, blessée, lessivée, usée par la vie. Je n'ai eu aucun mal à imaginer ce monologue de la femme rompu mis en scène (j'ai appris que la pièce a été créée au moins 2 fois, peut-être plus). Son passé, son présent se télescopent dans le huis clos de son appartement et de son cerveau embrumé par un passé trop lourd et par l'oubli. Aucune virgule dans ce long monologue pourtant riche en énumérations. Les idées ne sont pas hiérarchisées, occupent toutes l'esprit du protagoniste avec la même intensité.

Dans la troisième nouvelle une femme découvre par un hasard calculé, que le mensonge s'est niché dans l'univers qu'elle s'était créée. Découvre que le vers est dans le fruit qu'elle croyait parfait et que sa réalité est à des lustres de la réalité. La honte, la culpabilité, le regard des autres, et la nécessité des « innommables concessions » font irruption dans son univers. « On me scie le coeur avec une scie aux dents très fines ». C'est l'électroencéphalogramme ou l'électrocardiogramme d'une femme qui voit ses certitudes s'écrouler. Son introspection l'amène à passer de la colère à la résignation puis de nouveau colère, à la solitude torturée par la jalousie, aux concessions, à la nostalgie, à l'incompréhension, la tristesse, la dégradation de son image et au nécessaire besoin de la redorer, à la désillusion. Petit à petit les yeux de cette femme se dessillent sur ces détails que l'étoffe moelleuse de la vie bourgeoise lui masquait.

« A vingt ans, j'aimais l'amour en même temps que je t'aimais, toi.»
« Je croyais au couple, parce que je croyais au nôtre. A présent, je voyais des individus disposés au hasard l'un en face de l'autre ».

de Beauvoir nous donne à voir la mère indispensable qui s'oublie dans les autres, la mère potière qui modèle son oeuvre, la mère rompue par la culpabilité. Ce ne sont pas les femmes mais la femme qui est rompue, détruite, brisée, dispersée, partagée, sérieusement blessée mais par quoi, sinon que par ses propres certitudes et ses aveuglements, par les oeillères dont elle s'est elle même affublée, oú celles que les conventions sociales l'ont forcée á porter ?

« On peut toujours descendre plus bas, et plus encore, et encore plus bas. C'est sans fond. (…) Les tragédies, ça va un moment, on s'intéresse, on est curieux, on se sent bon. Et puis ça se répète, ça piétine, ça devient assommant (…) »
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