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Critique de Patsales


A quoi sert l'art? Dans cette troublante et cérébrale autobiographie, Alison Bechdel donne de nombreuses réponses. Son père fait vivre sa famille dans un musée: meubles d'époque, tapisseries d'époque, encyclopédies rangées dans le Canterbury et ciseaux à retrouver dans le Chippendale. On peut penser que le lecteur se gondole plus que la gamine à qui on assène un « Pas de bol » laconique quand elle prétend détester les rideaux roses de sa chambre, final touch non négociable pour un décor parfait. Ce n'est pas pour rien que l'artisan de cette maison-témoin est également thanatopracteur: restaurant les cadavres pour les conformer à une vie disparue, restaurant la maison pour retrouver une époque moins révolue que mythique, celle d'une famille heureuse. L'art , donc, qui recherche la perfection et qui la fige: l'art qui combat la vie en poursuivant la beauté.
La mère, elle, joue: qu'elle s'installe au piano ou répète Oscar Wilde avec une troupe amateur, elle fuit dans un monde qui lui est propre et la place hors d'atteinte d'une réalité contraignante et parfois sordide.
L'art est aussi une posture morale qui rehausse votre prestige et vous donne des envies de Pygmalion: les livres quittent le Canterbury, prêtés à des jeunes gens en mal de conseils intellectuels qui, s'ils avaient lu Platon plus tôt, auraient su que les mentors s'intéressent aussi à l'enveloppe charnelle de leurs protégés.
L'art peut aussi devenir langage oblique, message codé, rébus rétractable dont l'expéditeur peut toujours feindre ignorer le double sens: Colette et Joyce pour se dire homosexuel à qui pourra ou voudra le comprendre.
Mais surtout la littérature déroule son fil d'Ariane. Alison Bechdel enquête sur sa famille dysfonctionnelle avec pour boussole les livres: indices laissés par les annotations des livres du père, récitation par la mère de son poème préféré… Mais surtout relecture de sa propre vie par l'intermédiaire des romans. Quand Proust permet à Alison de comprendre pourquoi elle a tenté de changer son prénom pour « Albert », Homère la convainc que le spécialiste de Joyce est un avatar de la déesse Athéna. Et Scott Fitzgerald devient un coupable idéal pour expliquer la mort du père.
Être lecteur de roman, c'est généralement découvrir qu'on est sur la liste des personnages et que l'auteur parle de nous, ou, plus exactement, que les mots du livre peuvent dire à la fois leur histoire et la nôtre, et qu'ils nous offrent une réalité moins alternative qu'englobante. le fun home du titre est bien un établissement funéraire mais aussi la maison d'une famille en bien des points heureuse (« Pour maman, Christian et John. On s'est bien amusé malgré tout. »). le sous-titre « A family tragicomic » évoque le comic strip mais aussi le tragi-comique de toute vie. La mort du père est un accident tout autant qu'un suicide. À entrelacer les romans et la vie, à croiser tous les sens possibles, Alison Bechdel parvient à renouer avec son père, à l'arrimer solidement à sa propre existence, à accepter qu'il ait été idéal et salaud et nous laisse ébahis de constater qu'elle nous dit tout cela par la grâce d'un art graphique où texte et dessin se complètent jusque dans leurs divergences.
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