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Critique de morganex


Cette chronique couple le ressenti d'un roman et d'un film éponyme visionné dans la foulée. Au final, le premier se fondant dans le second, les deux se sont unis dans un étrange mariage où les mots se sont fait images et inversement.

« Mortelle randonnée», le roman, est initialement paru en 1981 dans la mythique Série Noire de chez Gallimard. Il fut réédité, entre autres, en 1998 en Folio Policier. Cette dernière mouture servira de support à une édition collector en 2008 fêtant les 10 ans de la collection et regroupant sous couverture cartonnée le roman et le DVD du long métrage qu'en fit Claude Miller en 1983. Cette dernière présentation étant celle lue et visionnée, la présente chronique, en conséquence, a subi les influences parfois contradictoires du texte puis des images : modifications des situations, des patronymes, géolocalisation de l'action transposée des USA vers l'Europe … etc.

Parlons 25 images/seconde avant de nous recentrer sur le roman. de la filmographie d'Isabelle Adjani on peut extraire quatre films d'intentions voisines : « L'Eté Meurtrier », « L'histoire d'Adèle H. », « Camille Claudel » et « Mortelle Randonnée ». Quatre longs-métrages qui, en dénominateur commun, montrent l'actrice interprétant des rôles de folles à lier. « Mortelle randonnée » n'échappe pas à cette caractéristique. Adjani excelle dans ses profils borderline (voir franchement in) qui, peu à peu, basculent dans une démence abyssale d'où nul ne parviendra à les extraire. Son jeu de comédienne, lentement frotté gant de velours puis toile émeri, exacerbe peu à peu des situations psychiatriques marquées, plongeant peu à peu les héroïnes qu'elle incarne dans des trous sans fond. le spectateur, en un étrange paradoxe, ressent vite une forte empathie pour les personnages incarnés, se met à l'unisson, cherche à comprendre et à accepter, accompagne les héroïnes sans pouvoir, hélas, infléchir leurs destinées. L'abîme attend et se referme sur des épilogues sans retour.

Elle est, en 1983, à l'affiche de « Mortelle randonnée », un film de Claude Miller d'après le roman éponyme de Marc Behm. Elle va former, aux côtés de Michel Serrault, un duo inattendu et complexe, un tandem de choc surprenant et d'une noirceur absolue. Behm et Miller y dissèquent au scalpel des destins parallèles dissemblables, aux points de convergences improbables. Si les comportements chaotiques des deux protagonistes échappent à toute logique et vraisemblance, le lecteur s'en rend vite compte, il n'en reste pas moins que le tout débouche sur un polar choc qui s'acoquine avec le thriller frénétique versant road trip. Les événements multiplient les coups de théâtre, les assassinats crapuleux, les morts diverses et variées. La police est cent lieux en deçà, toujours, Gros Jean comme devant, toujours à contre-temps, confrontée à l'irrationnel; mais le propre du polar noir étant souvent de la montrer absente elle ne pointera son nez qu'à l'épilogue (et encore pour se faire gruger).

Bienvenue en territoire de folie ou le pire rôde et mord les corps et les esprits.

Joanna (dans le roman), Catherine (dans le film), si t'en est que le lecteur (et le spectateur) ne se perde pas dans la jungle des patronymes empruntés, y incarne une jeune (et belle) inconnue, à l'état civil sans cesse changeant (tu m'étonnes, au regard des activités criminelles qu'elle commet … !), qui, aux Etats Unis (roman) en Europe (film) et de nos jours, d'hôtels de luxe en palaces haut de gamme (qu'elle quitte précipitamment et discrètement forfaits accomplis), cible la clientèle mâle solitaire en se faisant une juste et juteuse idée de son compte en banque, tue sans remord après l'étreinte amoureuse, disparait. Qui a le malheur de s'éprendre d'elle, qui se perd dans ses yeux verts (bleus dans le film) et sa plastique irréprochable (là je dois dire que je peux comprendre), qui succombe à son charme vénéneux comprend trop tard avoir eu à faire à une mante religieuse folle furieuse. Elle se refait une vie ailleurs, luxe oblige, change d'identité, joue de la perruque (blonde, brune, rousse, cheveux longs, cheveux courts) et retente sa chance quand les fonds viennent à manquer. Tout l'art de l'écrivain va être de conduire peu à peu son lecteur vers les raisons des actes de son héroïne. Il y a en elle quelque chose de la plante vénéneuse qui attire et tue. Reste à savoir pourquoi, tel est l'enjeu … la suite appartient au récit.

Adjani était fait pour ce rôle-là. Qui d'autre pour ce portrait aux confins de l'horreur et du charme ?

L'éternelle fugitive n'est pas seule dans son périple. Mais le sait t'elle ? Il y a l'Oeil (sans plus de précisions), un détective privé sur le retour, solitaire et misanthrope, miteux et désabusé, accroché comme un pendu à un fragment délicat de son passé, roublard et moqueur, poétique et cynique, pince sans rire. le portrait type, comme il se doit, de l'anti-héros du polar noir made in US. de filature discrète en planque anonyme, il va lui aussi succomber, béat et consentant, fataliste et protecteur, au charme mortel de celle qu'il a pour mission de suivre. Mais il plongera d'une manière toute différente, malheureux comme une pierre dans l'ombre de la belle meurtrière, flairant sa trace sans que jamais elle ne le remarque pendant des années, allant jusqu'à la protéger dans des situations délicates, au plus près des crimes qu'il ne peut ignorer. Là aussi, Marc Behm, l'auteur, va chercher au coin de l'Oeil des raisons, des motivations … la suite appartient là aussi au récit.

La prose est sèche dans la manière du polar US, rapide, cynique, brutale et souvent poétique, voire onirique. le lecteur est emporté dans un road-trip qui a tout du blitzkrieg, même s'il s'étale sur des années (on ne s'en rend que peu compte tant l'urgence semble bousculer les évènements): valse des hôtels interlopes et ceux haut de gamme où trouver refuge et relancer la mécanique meurtrière, des grandes villes US où se perdre dans l'anonymat puis renaitre sur les registres des palaces, des grands sites touristiques en manière de promenades …

« Mortelle randonnée » accroche et mord. Gaffe.. !

Les deux héros interagissent dans un grand bal meurtrier dans lequel Behm puis Miller vous invitent à danser en victime potentielle et consentante, libre à vous d'y échapper ; mais comment résister à un page turner de cet acabit et aux regards d'Adjani qui trouent l'âme de qui s'y perd.

Ce roman est, à mon sens, une totale réussite de par la fascination double et trouble qu'il charrie sous les yeux du lecteur, celle ressentie pour deux personnages hors-normes et attachants ; pour l'une, comme aspirée vers la face sombre de l'humanité et pour l'autre recherchant une rédemption, une vengeance ou un sauvetage ? (barrer la mention inutile)

NB 1 : L'Oeil est amateur de mots croisés. Marc Behm parsème son récit de définitions (et de solutions). L'une d'elles, redoutable, peut vous occuper longtemps, bien au-delà de la simple lecture du roman, alors n'hésitez pas, lisez le si la solution, pourtant sous vos yeux, agace vos nerfs, elle se trouve au bout du bout, il vous faudra tout lire et j'aurai L Oeil pour que vous ne trichiez pas. Vous gagnerez du temps et lirez un excellent roman.

En quatre lettres : capitale en Tchécoslovaquie.

Bonne chance.

NB 2 : Carla Bley, pianiste et organiste de jazz américaine, compositrice et chouchou de mon coeur musical à l'écoute des LPs qu'elle a laissé, est venue posé ses doigts et sa pharaonique coiffure sur la BOF du film. Elle y a laissé son style inclassable, unique et reconnaissable, son côté atypique et sa volonté de se montrer différente. J'ai un faible pour le côté presque bastringue du titre phare qui emprunte à la grandiloquence du cirque et aux atmosphères sombres et définitives des films noirs.


Lien : https://laconvergenceparalle..
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