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Critique de beatriceferon


Sophie Megnier est cadre dans la société de communication Worldwide, à la Défense. Aller au travail dans la foule anxieuse du matin lui pèse chaque jour davantage. « Rien que de penser à « là-bas », je me sens soudain plus fatiguée et les pulsations de mon coeur s'accélèrent. « Là-bas », immenses immeubles dressés comme des barreaux, et dedans ces milliers d'alvéoles. Dans l'une d'elles il y a moi, bouffée de l'intérieur toute la journée... »
A quarante-trois ans, réfractaire aux nouvelles technologies, Sophie redoute de découvrir son nom sur la prochaine liste des licenciés. Alors, sous l'effet de la panique, elle lance le mensonge : elle est enceinte. On ne va quand même pas jeter une future mère. Et, un pas après l'autre elle devient cette « femme qui ment ».
J'avais adoré « Les choix secrets » et m'étais réjouie de le voir décrocher le Prix Horizon du deuxième roman. C'est donc avec impatience que j'attendais la suite. Il m'a fallu ronger mon frein pendant cinq ans. Aussi, lorsque sort « La femme qui ment », je me précipite.
L'auteur nous entraîne ici dans l'univers inhumain d'un monde du travail qui exige toujours plus de performances, toujours plus de disponibilité de la part des employés, traités comme de simples pions. S'ils manifestent la moindre défaillance, s'ils ne sont pas capables de suivre les cadences infernales, la machine les broie sans pitié. « Je ne sors plus. Je bosse sans arrêt. Une pause d'une demi-heure et c'est tout ». C'est donc le coeur serré que je suis entrée dans cette lecture, avec une sensation d'angoisse. Car Hervé Bel excelle à faire ressentir ce monde effrayant et déshumanisé, qu'on trouvait déjà dans « La nuit du Vojd ». Il nous le présente de l'intérieur, car, à certains moments, on est dans la tête de Sophie, et de l'extérieur puisqu'il y a aussi un narrateur omniscient.
J'ai ressenti une terrible impression d'oppression, de malaise, car plusieurs de mes proches ont vécu ou vivent encore un pareil harcèlement au travail. « Dans les faits, nous sommes de plus en plus contrôlés. Lionel a institué les term sheets !... Il appelle ça « l'auto-contrôle » (…) Je suis obligée d'inscrire chaque jour, en pourcentage, le temps consacré sur les dossiers dont je suis responsable (…) Il leur est apparu clairement que je ne gère pas mon temps correctement, que je gaspille en m'attardant aux dossiers moins rentables, au détriment de ceux qui font vivre la boîte. » Chacun se regarde en chien de faïence. Certains n'hésitent pas à planter un poignard dans le dos des collaborateurs. « Allison, je sais qu'elle lorgne ma place. Régulièrement, elle va discuter avec Lionel. Elle voit avec lui en direct certains dossiers. »
A ce monde robotisé, Hervé Bel oppose le paradis dans lequel évolue Alain, un enseignant qui dispose d'énormément de temps libre. Il est, par conséquent, détendu et serein. En lisant ceci, j'inviterais tout de même l'auteur à venir prendre notre place, ne serait-ce que pendant quelques jours, dans cet éden supposé. Il y trouverait certainement matière à une nouvelle histoire angoissante !
Hervé Bel analyse avec une finesse extraordinaire les sentiments de ses personnages. J'ai été particulièrement frappée par cette scène entre les époux, qui sonne tellement juste : « La colère monte en elle comme en lui. Soudain, elle est prête au pire, à dire ce qui monte, irrépressible. Les disputes commencent toujours pour des riens, semble-t-il, un regard, un ton déplaisant, une broutille, une vaguelette échouant sur la plage (…) A cet instant, chacun cherche ce qui pourra blesser l'autre (…) Il lui faut faire le plus de mal possible. » A méditer avant la prochaine querelle !
On entre dans la tête de Sophie. On vit avec elle le stress du monde robotisé de la Défense. On observe les manigances des employés qui veulent attirer l'attention de leurs supérieurs. Les dirigeants ne pensent que chiffres d'affaires. A leurs yeux, les travailleurs ne sont que des noms sur une liste. Ils ont perdu leur humanité. Il y a celui qu'on a mis au placard, qui pourrait renoncer, s'en aller. Mais non. Il s'accroche avec l'énergie du désespoir. Il y a celle-ci, cultivée – elle lit certainement un livre par jour – en revanche, elle est dépassée par l'univers informatique. Qu'importe sa richesse intérieure, seule compte la rentabilité.
En face, il y a la sphère de l'intime, celle des amis du couple. Guère plus sympathiques, hélas. Pour eux, Sophie est cet être monstrueux : une femme sans enfant. Les mères qui l'entourent n'ont qu'un seul sujet de conversation : leur progéniture, son premier mot, sa première dent, sa fièvre. Sophie est anormale à leurs yeux.
Pour Sophie, l'amitié exceptionnelle qui lie Alain, son mari, et Philippe, a des relents de soufre. Alain admire Philippe, mais, en dépit de l'affection, il ne voit en lui qu'un fils de famille qui a toujours vécu dans un univers riche, ouaté. Il ne s'interroge pas sur ses blessures secrètes.
Alain est divorcé. Sa relation avec Juliette était destructrice (elle m'a rappelé certains aspects terrifiants des « Choix secrets »). Lorsqu'il rencontre Sophie, il la considère comme la femme de sa vie qu'il veut garder à tout prix. Et, à cause de cela, il va jusqu'à la blesser gravement.
L'univers de ce roman est souvent noir, oppressant, à l'instar des deux oeuvres précédentes. Pourtant, ici, on voit poindre une lueur d'espoir, un souffle apaisé qui viennent heureusement soulager le lecteur.
J'ai adoré et n'ai qu'un seul message pour l'auteur : « Encore ! ».
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