Qui lira ce roman se rendra vite compte que le destin ne nous tombe pas dessus au hasard des karmas. Si on analyse le parcours de notre héroïne, on se demande rapidement si ces choix mentionnés par le titre, elle les fit réellement… Oui elle s'était entichée de celui qui allait devenir son époux, oui elle avait choisi entre deux hommes… Bon choix ? Mauvais choix ? peu importe, car son destin, ce sont son entourage, la société de l'époque, son milieu qui l' avaient probablement tracé avant même qu'elle ne vienne au monde : les études ? oui ! Chez les soeurs, afin de faire d'elle une bonne épouse qui resterait à la maison pour cuisiner pour Monsieur et repasser les draps du ménage… Quelques passages montrent bien comment on la conditionne… Et l'analyse psychologique qui suit est des plus intéressantes : Madame se marie par amour pour celui qu'elle ne connaissait peut-être pas vraiment, Madame s'aperçoit que ce n'était peut-être pas cet homme là qu'il lui fallait, surtout qu'on l'avait élevée dans un milieu aisé, et que le salaire d'un instituteur… !!!
Et Madame s'ennuie, alors elle tente de paraître, elle organise des thés, dédaigne les réunions mondaines dans lesquelles elle n'est pas invitée, Madame perd son goût à la vie, alors elle devient envieuse, égoïste voire méchante avec son mari, ses enfants… Madame en veut à la terre entière...
Une vie bien triste, la vie d'une femme qui est devenue une prison pour elle-même, une femme qui peu à peu deviendra nocive…
Une source de réflexion pour tous les lecteurs qui liront ce roman noir au risque d'en sortir un peu choqués.
Respect pour cet auteur qui en exposant un tel destin, nous livre une leçon de vie.
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Une vieille dame se souvient.
Et cette vieille dame n'a pas toujours été une belle personne.
A petits pas et petits gestes, elle cohabite, grincheuse, avec un mari bronchiteux, entre bouderies et aigreur de vieux couple. Une vie de vieux où ne s'entretiennent plus ni les corps ni l'esprit, et où une journée de plus est une victoire sur la mort.
En intercalant le présent et le passé, Marie nous ouvre sa boite à souvenirs, depuis son premier choix qui a déterminé le reste de sa vie. Son mariage avec André a fait disparaitre l'illusion d'une vie exotique de femme d'officier de marine, pour celle d'épouse d'instituteur rural.
En suivront d'autres...des choix imposés, des cruels, des réfléchis, des solitaires et des intimes.
Au fil du temps Marie se dévoile, narcissique et manipulatrice, désarçonnée par la tiédeur de son époux, piégée dans un mariage sans passion, une petite vie médiocre et désargentée qui exacerbe sa jalousie naturelle.
Des premiers émois amoureux jusqu'à l'extrême vieillesse, toute une vie banale, teintée de regrets et de désillusions, pour deux êtres qui ne se sont jamais vraiment compris, avec les frustrations d'une femme exigeante et égoïste, face à un mari incapable de romantisme et qu'elle juge faible.
Entre mesquineries et pingreries, la détresse des personnes âgées est finement reconstituée, par ses rancoeurs, ses combats muets, ses mots rugueux de deux personnes qui se connaissent intimement et s'agacent pour des riens.
Tout est d'une tristesse palpable, d'une solitude infinie.
Et pourtant, j'ai lu, fascinée, le décryptage de cette vieillesse là, qui sent le vécu, sordide et misérable.
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INCIPIT
Neuf heures, Marie commence sa ronde.
Elle veut être assurée du repos de sa nuit, éviter à tout prix qu’en se réveillant vers les deux heures du matin, comme cela lui arrive souvent, elle ne se souvienne plus si la porte qui conduit au garage est bien fermée. Doute terrible, elle résistera un temps mais, comme à une envie d’uriner, elle finira par céder et devra redescendre au rez-de-chaussée, errer dans les pièces froides, jusqu’à la cuisine, sentir se glisser sous la robe de chambre un air glacial, humide.
Une porte, cela irait encore, mais il y en a deux autres, une qui conduit au petit salon, l’autre à la salle de bains. Et aussi la fenêtre de la cuisine, et la lumière. La lumière qu’elle peut oublier d’éteindre, et qui, toute la nuit, fera marcher le compteur…
Pour être certaine que tout est en ordre, Marie suit une procédure qui s’est compliquée avec les années.
Ce soir, comme tous les autres soirs, elle se poste devant chaque porte, serre sa bouche, ferme les yeux, appuie dix fois sur le panneau, en comptant : un, deux, trois… Puis elle applique une ultime poussée et dit à voix haute, nettement : « Fermée. » Pour la fenêtre, elle serre la poignée de toutes ses forces et pense : « Je suis là, je tiens la poignée, je la tire, et la fenêtre ne s’ouvre pas. » Puis elle regarde autour d’elle, aperçoit un détail, une araignée au-dessus du poêle, un torchon à côté de la cage à oiseaux, n’importe quel détail, qu’elle enregistre, afin de s’en souvenir si, durant la nuit, le doute lui vient. Pour la lumière, c’est plus simple : elle allume sa lampe de poche, éteint le plafonnier, et là, dans les ténèbres coupées d’un rayon affaibli et jaune, elle ouvre grands les yeux, regarde le noir, et compte jusqu’à vingt.
Derrière elle, debout, se tient son mari, respiration haletante, reproche vivant ; elle sait qu’il la trouve ridicule et cela l’empêche de se concentrer.
Elle tient fermement la lampe de poche dans sa longue main à la peau jaunie et veinée, et traverse la salle à manger qui sent la poussière mouillée. Lui la suit, à petits pas. Ses pantoufles claquent sur le plancher. Et il souffle encore. On dirait qu’il le fait exprès, ce bruit. Devant l’escalier, c’est encore pire, il s’arrête, se racle la gorge, souffle suspendu qui reprend bientôt, plus fort, tandis qu’il monte derrière elle. Les marches de l’escalier craquent, une à une. Arrivée sur le palier, elle se retourne pour observer l’obscurité. Tout est en ordre, le silence absolu. Elle peut se coucher, et lui aussi.
Elle dit « Bonsoir ». Il répond : « Bonsoir, ma petite poule. » Puis tousse. Dès qu’il se couche, il est pris de quintes qui s’espacent et qu’elle compte, en serrant les dents. Encore un petit moment à subir. Puis le silence. Il s’est abruti avec deux cachets et s’endort ; le silence et la couverture protègent Marie.
Marie scrute les ténèbres, à l’affût de la moindre luminosité, contente qu’il n’y en ait aucune, mais inquiète aussi. La chambre est placée à l’extrémité de la maison du côté des grands sapins. Derrière s’étendent les vergers et les prés jusqu’à l’Oze. Un cambrioleur n’aurait aucun mal à pénétrer dans la propriété, casser une fenêtre et faire son affaire sans être dérangé. Il pourrait les torturer sans que personne entende quoi que ce soit. Si, les voisins d’en face. Mais si le voleur les bâillonne, les Puffeney n’entendront rien. Elle s’imagine attachée, les pieds nus au-dessus du poêle de la cuisine. L’homme dit : « Tu vas parler, tu vas parler ! » Son mari, placide, assis tranquillement sur sa chaise. « Et toi, lui dit le cambrioleur, regarde ce que je vais faire à ta femme. Je vais la brûler à petit feu. » Le mari ne répond rien, indifférent, son air indifférent de tous les jours. Marie comprend alors que rien ne la sauvera plus. Les battements de son cœur s’accélèrent. L’homme la regarde avec un air de fou : ce n’est pas l’argent qu’il veut, c’est sa vie, qu’il va déguster lentement, au fil des tortures…
Comme un coup de poing sur la poitrine, la peur est si vive que Marie se réveille, surprise d’avoir dormi. Silence total, mais des bruits parfois, toujours surprenants. Un craquement dans le salon, en bas. Une corneille plus noire que la nuit sautille sur le rebord du balcon. Le vent se lève, légèrement, comme une expiration humaine.
Et son mari dont la respiration est hésitante, rauque.
Allons, tout va bien, pense-t-elle.
Si elle pouvait seulement bien dormir. Même si elle s’assoupit, elle garde toujours l’impression d’être réveillée. Son sommeil est une pensée qui se dévide toute seule, et elle sait toujours ce qu’elle pense. Comme tout à l’heure.
La pluie arrive soudain, massive, crépite en s’écrasant sur le toit. Elle imagine le jardin trempé, la campagne déserte, le bois des Rupes, du côté de Linteuil, qui plie sous le vent, l’odeur des tapis de feuilles décomposées sous le cognassier… Et voici qu’elle sent venir la pensée de la mort, l’affreuse pensée, inévitable, habillée de nuit, qui s’insinue en elle, s’approche avec la prudence d’un serpent, la discrétion de la fumée d’un brasier qui passe sous la porte.
Se lever, bouger, elle n’y songe même pas. Il lui est impossible d’envisager la moindre entorse à l’ordre établi de son existence. Une fois couché, on l’est pour de bon. Et que dirait son mari, là, tranquille, qui dort ? Il en profiterait pour se lever aussi, sous prétexte qu’il est malade. Malade, pas tant que ça puisqu’il dort.
Malade et l’horrible pensée derrière…
Mais elle se sent bien, au chaud, comme si elle n’avait pas de corps. L’esprit est vif. Demain, il faut absolument ranger les draps qui traînent sur la table de la salle à manger, passer un coup de serpillère dans la cuisine. Demain, il y a le boulanger, un brave homme. Il faudra changer de sous-vêtements. Elle égrène les tâches, se sentant tomber doucement dans un trou chaud, se laisse aller, et…
Et soudain, sursaute.
Sur le toit, du côté de la cuisine, un chuintement, comme un patin qui raye la glace, un son de plus en plus fort.
Quelqu’un, là-haut.
Elle s’est dressée, s’apprête à réveiller son mari, se retient, tandis que le bruit s’interrompt. Puis un autre venant de la cour en ciment, un corps qui s’écrase sur le sol, une pierre, un coup net, distinct malgré la pluie plus calme.
Marie repose la tête sur l’oreiller. Une tuile, c’est une tuile qui est tombée. Cela devait arriver : le toit est en si mauvais état.
« J’ai bien fait de ne pas le réveiller. Il en aurait fait une histoire. »
Mais il s’est réveillé. Il halète :
« Qu’est-ce qui se passe ?
— Une tuile est tombée du toit !
— Je m’en occuperai demain, je m’en occuperai demain. »
C’est cela, oui, pense Marie. Moi je suis sûre que tu ne feras rien, que ce sera à moi de me débrouiller.
Un nouveau souci, des solutions à trouver, toute seule.
Demain.
« Mon Dieu, quelle vie ! Si j’avais su… »
Puis elle pense au vieux parasol jaune aperçu ce matin, dans le garage. « Je ne me doutais pas qu’on l’avait gardé. » Parasol, soleil. La lumière si claire sur le jardin, comme en août dernier, dans le ciel bleu.
La nature, elle, ne change jamais. C’est la même lumière, les mêmes couleurs, que voyaient les gens du Moyen Âge : la vallée était la même, plus d’arbres peut-être. En tout cas le même relief. Cela l’étonne, comme une découverte, une promesse qui éloigne l’horrible pensée dont elle n’est jamais loin. En août dernier, elle se souvient être allée au bout du jardin, près de la cabane en ruine. De là, elle a regardé longtemps le paysage, borné au loin par les collines.
Avant, il y avait la gare perdue au milieu des prés. Elle l’a tellement regardée, cette gare, en 1933, en juillet.
Elle s’appelait encore Marie Cavignaux.
Il était cinq heures du soir. Elle remontait l’allée bordée de roses d’un pas rapide et arrivait devant la guérite qui servait de lieu d’aisance. Les mouches vibrionnaient. Assise sur la tinette, elle prenait les jumelles dissimulées derrière. Il faisait beau. La terre était sèche.
Avec ses jumelles, elle observait le verger, la rivière bordée de bouleaux puis, sur le coteau opposé, des prairies d’un vert flavescent où des vaches blanches tachetées de noir paissaient. Enfin, au faîte de la colline, objet de toute sa convoitise, elle s’attardait sur la gare de Santus, un bâtiment carré recouvert de crépi blanc et dressé au milieu de nulle part, où s’arrêtaient les trains en provenance de Linteuil.
Il faisait très chaud. L’air de la petite cabane était empesté par les excréments en décomposition, mais leur odeur, celle de sa famille, l’incommodait à peine. La sueur, coulant en rigoles le long de son corps, entre ses cuisses et ses seins, lui causait un chatouillement agréable et trouble. Elle ne bougeait pas, les coudes appuyés sur ses genoux pour tenir sans effort sa double lorgnette. Elle était immobile, de cette immobilité tendue de l’insecte, inquiétante parce que absolue et cependant provisoire, susceptible de se rompre soudain dans un mouvement vif et cruel.
Elle avait un profil légèrement prognathe. Des cheveux bruns et raides le long de son cou maigre. Des bras longs et musclés comme des cuissots de sauterelle, peu de poitrine, des jambes fines, des yeux gris ou bleus selon la lumière, une petite bouche souvent traversée d’un pli ironique. L’expression de son visage était tantôt mélancolique, tantôt énergique, cela dépendait des circonstances : elle avait dix-neuf ans.
Et elle pensait qu’elle le verrait bientôt, lui, attendu depuis le matin, sept heures : André !
Enfin, le train s’annonçait d’un trait strident rayant le silence. André Seudécourt finissait par descendre, le dernier, car il ne se pressait jamais. Un pas tranquille qu’elle prenait pour du flegme.
Aussi attentive que la lycose derrière son parapet, elle observait sa marche lente sur la route qui le cacherait bientôt, cherchant à se souvenir autant que possible de tous les détails ; y parvenant, mais sans en ressentir une véritable joi
Hervé Bel : « Les choix secrets ».
Marie est une vieille femme vivotant avec son mari malade et très affaibli, dans un petit village isolé de Bourgogne.Chaque jour monotone s’écoule doucement et lui permet de se replonger dans sa vie passée, pleine de rêves brisés et de drames .
Choyée par son père, diplomate, durant sa jeunesse dorée en Indochine, elle tombe amoureuse d’Andre, jeune instituteur de village pendant ses vacances. Malgré la cour pressante d’un jeune officier plein d’avenir, elle préfère rentrer en France et se marier avec André contre l’avis de sa mère, peu aimante. Elle devient mère au foyer dans une petite ville triste , son mari ayant peu d’ambition. Elle se sent constamment insatisfaite et envieuse, menant une vie monotone, fade. Elle aura deux fils mais ils ne répondront pas à ses attentes de gloire et reconnaissance. Ainsi elle finit sa vie seule avec André, qu’elle n’a peut-être jamais réellement aimé.
C’est un livre terrible sur la vieillesse, sa tristesse, son délabrement physique et intellectuel ; certaines pages sont difficiles , la déchéance de ce vieux couple m’a bouleversé.
Le portrait de Marie est ciselé, sans complaisance ; celle-ci est orgueilleuse, soucieuse plus du paraître que de sa famille, pingre au possible, odieuse avec ses proches , aigrie toute sa vie. Pourtant, l’auteur réussit à nous la rendre fragile, sensible malgré sa monstruosité.
Quelle audace de dérouler un personnage aussi repoussant et méchant , avec une écriture classique et élégante , relevant chaque détail de cette petite vie étriquée.
J’ai eu beaucoup de peine pour André, ce mari mal aimé, peu causant , mais aimant avec ses enfants et si maltraité par sa femme ; le dernier chapitre est saisissant de tristesse et de misère affective.
Même si très dérangeant, ce récit est saisissant et intense.
Merci aux 68premieresfois pour cette découverte.