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Critique de colka


Ce roman de Mathieu Belezi : Attaquer la terre et le soleil est une véritable descente aux enfers qui puise avant tout sa force, non dans les thèmes largement traités dans d'autres romans ou essais, mais dans l'écriture de son auteur. Comment ne pas être, dès le début sous l'emprise de ces deux récits qui alternent : celui de Séraphine, débarquée en Algérie avec sa famille pour fonder une colonie agricole avec d'autres migrants et celui d'un soldat anonyme, arrivé lui aussi en Algérie mais pour y faire oeuvre de conquête.
Ce qui m'a immédiatement captivée dans ces deux récits, c'est qu'il s'agit en fait de deux longues litanies : celle de la souffrance et de la peur avec Séraphine et celle de l'horreur et de la violence guerrière avec le soldat. Pouvoir incantatoire des leitmotiv - "sainte et sainte mère de Dieu" pour Séraphine et "nous ne sommes pas des anges" - pour le soldat, qui reviennent en boucle de façon lancinante au début du roman, phrases au déroulé en continu sans pause aucune, ne laissant ainsi aucune échappatoire, on est happé par ces deux récits qui se font écho mais en miroirs inversés.
D'un côté Séraphine et sa famille venus en Algérie pour récolter "blé, orge, tabac et raisin..." vont être parqués dès leur arrivée dans des campements militaires où la saleté et l'insalubrité le disputent à la maladie et bientôt à la peur des "lions du désert" et celle des autochtones qui haïssent ces colons venus s'emparer de leurs terres ancestrales. Ce qui explique qu'ils les tuent sans hésiter avec une sauvagerie vengeresse. de l'autre côté, nous avons un soldat anonyme et son bataillon venus faire oeuvre de conquête, à la force des baïonnettes, comme il s'en félicite au début du récit dans un discours bravache se retranchant derrière les discours mensongers et hypocrites des officiels qui vantent la mission "pacificatrice" et "civilisatrice" de l'armée française !
A la douleur et la souffrance de Séraphine, s'oppose la violence guerrière du soldat et de ses acolytes dans des scènes à couper le souffle par leur puissance d'évocation. Dans des passages d'un réalisme cru, l'auteur nous fait partager les moments de cauchemar vécus par Séraphine et les autres colons, décimés par le choléra qui ne fait pas de quartiers, emportant du jour au lendemain hommes, femmes et enfants... Et nous assistons, impuissants tout comme les survivants, au funeste ballet des enterrements qui se succèdent à un rythme infernal ! Mais la grande faucheuse ne copine pas seulement avec les virus mortels, elle traîne aussi ses guêtres du côté de la violence guerrière et des massacres commis dans les douars arabes par la soldatesque française. Viols, décapitations, étripements, rien ne nous est épargné... Ce pourrait être insupportable si ces scènes d'horreur ne faisaient pas l'objet d'un grossissement épique qui leur confère une certaine irréalité en nous renvoyant ainsi plus du côté de la réflexion que de l'émotion. Cette barbarie humaine qui pille, saccage, viole et tue a, heureusement son corollaire : l''instinct de survie et un formidable appétit de vivre chevillé au corps de tous ces damnés de la terre ! Cette thématique parcourt aussi tout le roman comme en témoignent de grandes scènes qui se font écho et dans lesquelles colons ou soldats se livrent à des orgies de nourriture et de boissons qui sont pour les uns un moyen d'oublier la peur, les deuils et les mauvais coups du sort et pour les autres, shootés à la gnôle, une façon "d'oublier les souffrance physiques, les bains de sang et les cris des victimes, hommes, femmes et enfants..." Dernière invitée dans ce hit-parage de l'horreur, la folie, celle qui guette par exemple le capitaine Landron, dépeint comme un ogre sanguinaire et qui se livre à des discours délirants devant ses soldats et ses ennemis... morts de la façon la plus atroce qui soit.
Je pourrais poursuivre ma chronique mais j'ai pitié de mes lectrices et lecteurs et je conclurais seulement en disant combien j'ai été impressionnée par ce roman à la fois par la puissance de son écriture et aussi par sa façon de nous renvoyer sans ménagement du côté le plus sombre de l'humanité !
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