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Critique de NicCarca


Je découvre Adieu ma honte via un tweet. Une vidéo d'interview de Ouissem Belgacem et son livre ; le thème est clair : l'homophobie dans le football professionnel (français surtout mais de façon plus générale aussi). La parole est rare, fait figure d'exception même. Très peu, voir trop peu, de professionnels (les joueurs surtout) du milieu la prenne, la dernière en date que j'ai en mémoire est celle de Yoann Lemaire qui date de 2004. Ou, plus antérieur encore Olivier Rouyer. Quant est-il aujourd'hui ? En 2021 ?
Je fais deux librairies de quartier : rupture. Tant mieux pour le soutient des petits commerces, tant mieux pour l'auteur et la conscience collective. Plan B classique : La Fnac. La pile d'exemplaire est déjà bien entamée par rapport aux autres sorties actuelles. le succès semble prometteur pour le livre. Aussi je suis très surpris de ne pas voir beaucoup d'avis sur le livre, Babelio compris. Alors allons-y.


Pour la forme. le livre fait quelques 240 pages et se lit très bien, le style n'a pas l'arrogance d'être alambiqué, au contraire. La modestie du caractère simple de la narration est diaboliquement efficace d'autant plus que le parcours de Ouissem Belgacem se fait de façon chronologique : de sa petite enfance à l'homme qu'il est aujourd'hui, le ballon entre les pattes ou à l'esprit. Les pages et les étapes de sa vie se succèdent sans réel temps mort, c'est croissant à l'image de son évolution et de son parcours. On oscille entre sourire bienveillant et compatissant, on assiste impuissant à ses déceptions et ses échecs, on ressent l'envie de hurler face aux injustices auxquelles il est confronté. Plus d'une fois on interrompt la lecture avec la seule envie de prendre cet être dans ses bras. C'est lu en quelques heures mais je lit très vite. Donc comptez quelques jours si vous êtes assidus et que vous aimez prendre votre temps mais je met quiconque au défit de faire des pauses longues tellement on est embarqué dans le récit. Il est difficile de décrocher au point ou on garde l'oeuvre ouverte même lorsqu'on est « occupé » à d'autres activités. Rares sont les livres que je lis en mangeant, buvant ou fumant. Il est très difficile de décrocher tant l'immersion est intense. le pari est gagné. Chapeau bas à Ouissem Belgacem et à Éléonore Gurrey qu'il remercie très chaleureusement. Les personnes qui aident à la rédaction restent parfois dans l'ombre alors que la plume a été façonnée grâce à elles.
Le livre n'aborde pas uniquement l'homophobie. Il dénonce toute les discriminations et leurs hiérarchisations.


Pour le fond. Ouissem Belgacem est l'archétype du héros de n'importe quelle histoire. Il grandit dans une famille (très) modeste, vit dans un quartier populaire d'Aix (en gros une cité, il le dit lui même) et porte une triple peine innée : d'origine maghrébine, musulman pratiquant, gay. Comme si ça ne suffisait pas il portera aussi la pancarte « français/européen » au dessus de sa tête. Mais il trouve très vite une parade. le ballon le sauvera et, paroxysme absolu, le consumera. Comment faire plus accrocheur ? On est si loin des autobiographies parfois pompeuses et mégalo-maniaques qu'on a l'impression de lire un roman tant on s'attache à lui. Pourtant la couverture porte la mention « Récit ».
On s'éloigne également des clichés consternants sur les cités et la vie des familles qui y vivent. Certes le chant des sirènes de la délinquance précoce, voir très précoce, est séduisant. Certes il faut jouer aux durs et ne pas se laisser marcher sur les pieds. Certes le sport le plus populaire de France tient une place très importante dans ce microcosme et est porteur d'espoirs. Mais le narrateur met en lumière l'amour qu'il a reçu de sa mère, de ses grandes soeurs qui l'ont protégés pendant toute sa petite enfance et même une fois adulte, de la solidarité intrinsèque qui fait la force du lieu de vie. Dehors les idées qui partent du principe que dans toutes les cités les gens sont au chômage ou touchent le RSA, que les enfants vendent de la drogue dès l'âge de six ans parce que leurs parents sont totalement dépassés et/ou désengagés. O.B livre sans concessions les raclés qu'il a reçues suite à des erreurs classiques d'enfants qu'il n'a jamais re-commises par la suite . Comme tout un chacun.
le football tient très vite une place prédominante dans sa vie. C'est « son ADN » pour le citer. En plus d'avoir de bon résultats à l'école (et oui les rebeus ne sont pas nécessairement les cancres de la classe) son talent est très vite repéré. Il rejoint des clubs, est inscrit dans une école avec l'option sport étude à l'autre bout de la ville qui lui impose un temps de trajet démesuré pour son âge et finit par incorporer un centre de formation spécialisé de jeunes espoirs du football pour le dire simplement. C'est le début du rêve. Mais il ne s'agit pas seulement de perfectionner son talent pour le sport, c'est aussi un incroyable voyage formateur, de la vie. Au fil des années il accède à des centres de plus en plus prestigieux, la compétition gagne en intensité, elle est à la fois saine et commune à tous les sports mais parfois aussi emprunte d'un certain favoritisme surtout de la part des coaches. Coaches avec qui il entretiendra des relations telles qu'il projettera une idée et une représentation paternel. Relations souvent saines, parfois décevantes, d'un côté comme de l'autre.
Ses efforts payent au point ou il intègre le Toulouse Football Club (TFC), le « Tef » dans le milieu. Club de formation dont la finalité, à travers des sélections de plus en plus rudes, un rythme quotidien calculé à la second prêt, des entraînements aux enjeux de plus en plus importants, est de décrocher le graal du graal : devenir joueur professionnel. On est seulement à la page 53 et on est déjà sous l'effet hypnotique de la tension. O.B ne manque pas de détermination, il s'entraîne dur, parfois bien plus que les autres. Les autres jeunes sont à la fois ses alliés et ses adversaires. Seuls les meilleurs peuvent rester, les autres rentrent chez eux avec la honte au ventre et dans l'âme. La sélection est implacable et sans appels. Pourtant le livre est une ode à l'amitié et à la « fraternité ». Il s'entoure d'amis, de camarades, de frères : Cheikh, Oumar, Kevin et Ouissem forment un quatuor fort, exemplaire.
Mais voilà. Comme dans toutes les histoires il y a un problème et de taille. O.B est attiré par les garçons. Il le sait et l'a rejeté d'emblée. Car ça ne colle ni avec ses valeurs, sa foi, sa famille et est tout bonnement incompatible avec ses ambitions. Un footballeur professionnel homosexuel ? On n'a jamais vu ça ! Impensable ! Carton rouge direct ! Exclusion ! Opprobre dans les règles !
Et alors quoi ? Renoncer ? C'est mal connaître le bonhomme ! Arrêter le foot c'est comme lui dire d'arrêter de respirer. Il entreprend alors, comme il le dit, de « s'hétérosxualiser ». C'est dire si le fait de « simplement » s'assumer et vivre son orientation sexuelle au grand jour est inacceptable dans le milieu. Pour se faire tout y passe. Prières, séances auprès de thérapeutes, jeun, abstinence. Révoltantes sont toutes ces thérapies de conversations forcées, comme elles sont décrites dans Boy Erased de Garrard Conley. Accablante lorsque l'on se l'impose à soi même. O.B va même jusqu'à sortir avec des filles, il couche avec certaines d'entre elles et veille bien sur à ce que tout le monde le sache parce que oui il doit sauver les apparences, écarter tous soupçons qui planeraient au dessus de sa tête. Sans surprises, sans révéler quoi que ce soit à l'histoire, on sait que toutes ces tentatives sont vouées à l'échec. Si il suffisait de faire un « effort » pour rentrer dans la norme ça se saurait. O.B n'a pas fait qu'essayer ; il s'est acharné.
Et c'est là que le concept « esprit sain dans un corps sain » lui fait défaut. Car le sport de haut niveau, quel qu'il soit, ne repose pas uniquement sur des performances physiques. le mental apporte sa pierre à l'édifice. Et celui d'O.B le bloque littéralement dans ses progrès et son ascension. L'adolescence fait son oeuvre, les hormones sont en ébullition. Son désir pour les garçons le hante, ses tentatives d'exorcisations le plonge dans un état de fatigue exponentielle. Cela l'accule, l'érode, le consume. Et coups du destin, alors que ses compétences physiques étaient jusqu'alors ses meilleurs (et presque seules) alliés, elles le trahissent, le privent de quelques millimètres pour prétendre au poste ou il excelle. Les défenseurs centraux font au moins 1m80. Sa croissance le fait stagner à 1m79,5.
Je ne vais pas aller plus loin dans la narration, je pense que vous savez ce qu'il vous reste à faire. Je compléterais cette partie en évoquant le combat terrible d'O.B dans sa lutte incessante entre sa conscience et son inconscient. Il ne lâche rien, redouble d'effort. C'est un sportif dans l'âme. Il traverse des moments d'une noirceur rarement livrée à corps et âme. L'idée la plus sombre de toute ne luit vient pas à l'esprit (tout du moins il ne la cite pas explicitement) alors que beaucoup, hélas, rendent les armes. On ne rappellera jamais assez que le taux de suicide chez les jeunes LGBTQ+ est dramatiquement plus élevés que chez les autres. Et à raisons. L'histoire d'O.B est révélatrice.


Pour aller plus loin. le livre ne m'a pas seulement plu, il m'a marqué. Sa portée et son message sont indéniables. Je ne peux que recommander la lecture de Adieu ma honte.
de la même manière je ne peux pas ne pas m'exprimer sur un défaut qui n'a en rien gâché ma lecture et dont je ne tiens pas rigueur à O;B mais qui, selon moi et seulement moi, manque. Les phrases qui suivent révèlent des moments importants. SPOILERS ALERTE, si on peut parler de spoiler dans une autobiographie, mais comme dit plus haut le livre a parfois des allures de roman. Bref vous êtes prévenus.

Ouissem Belgacem a connu une traversée du désert qui l'a privé de sa chance de réaliser son rêve : devenir footballeur professionnel. le livre prend fin par une phrase de son ancien coach qui lui dit qu'il a bien fait de taire son homosexualité car le moindre prétexte aurait été bon pour se débarrasser de lui. Avant cela on suit son abandon pour le foot et sa réorientation professionnelle qui le conduit à fonder sa propre start-up dont le but est d'accompagner d'anciens athlètes, surtout des footballeurs, après leurs carrières. Car il explique que pour beaucoup, à ce moment de leurs vies, connaissent une descente aux enfers. La « première mort » qu'il cite sur la quatrième de couverture. Mais force est de constater que même avec cette casquette auto-entrepreneur il vaut mieux ne rien dire sur son orientation sexuelle. Sinon quoi c'est le suicide financier. le livre s'achève sur une sorte de« la boucle est bouclée » dans le sens négatif du terme. En somme c'est le goût amer et fade de la fatalité. Et dans une certaine mesure à raisons.
Personne, pas même O.B n'est en mesure de vaincre l'homophobie dans le foot. le travail est colossal. Tout est à faire. Néanmoins, au vue du tempérament du narrateur, c'est un guerrier mais qui ne lutte pas à armes égales, citer quelques exemples d'ouvertures et de possibilités aurait amener quelques lueurs d'espoirs là ou il semble n'y en avoir aucune. le message de Antoine Griezmann en est une illustration. Certes ce n'est pas aussi fort que le coming-out d'un footballeur professionnel en activité. Mais c'est une étape. Et toutes les luttes contre une discrimination commence par là.
Dans le même soucis d'espoirs et d'optimisme on peut citer le coming-out de sportifs de haut niveau tel que :


Daniel Arcos, joueur de basket-ball, chilien
Denis del Valle, joueur de volley-ball, suisse
Sebastian Vega, joueur de basket-ball, argentin
Zach Sullivan, joueur de hockey sur glace, britannique
Curdin Orlik, lutte, suisse


Ce ne sont pas des footballeurs. Ils sont étrangers. le lot de consolation est peut-être amer, voir mesquin. Mais avant tout ce sont des sportifs. le football est un sport et il est effectivement grand temps qu'il cesse d'être une exception dans ce domaine.
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