AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de gatsbi


gatsbi
26 décembre 2023
Marre des superhéros, ces nouveaux veilleurs autoproclamés issus de la culture pop ?
Alors, rappelez-vous les Victoires de la culture antique. Et si comme moi, inculte, ça ne vous dit rien, pas de problème : Ugo Bellagamba a eu la bonne idée d'orchestrer une session de rattrapage. J'y étais, et j'ai tellement aimé que j'y suis retourné !


Pour autant, point d'essai historique ici. L'auteur — « l'une des plus belles plumes de l'imaginaire », ce que je ne contredirai pas — revisite la figure divine en lui donnant une portée universaliste et en la mêlant à des enjeux plus élevés encore.
Car dans ce roman, il n'est pas question de batailles ou de guerres entre les peuples, mais bien d'une lutte sans merci, pratiquement éternelle, entre les humains et un esprit prédateur venu du fond des âges et de l'espace : l'Orvet. Celui-ci se nourrit de la douleur et de la perversion des âmes. Les Victoires, bien réelles, sont les hussardes de ce combat à mort. Les hommes, eux, n'ont pas conscience de cette guerre de chaque instant. Ils SONT le terrain de la guerre.
L'origine lointaine de l'Orvet, son "background", ainsi qu'un chapitre situé dans un avenir plus ou moins lointain, donnent la touche S.F. à ce roman.

Derrière cet Orvet, monstre de puissance et d'avidité, on lit sans difficulté la figure du diable. Un diable plus cosmique que sous-terrestre, mais un diable qui reste très classique, avec ses pouvoirs de corruption et de possession, son goût pour le jeu et son sens du raffinement.
L'auteur joue donc sur deux tableaux, avec d'une part la figure de la Victoire, d'autre part celle du diable.


Le récit est une succession d'épisodes racontant cette guerre invisible (du point de vue des hommes). Huit récits, huit moments historiques ou à venir, huit Victoires, huit passes d'armes.
L'écriture est très belle, évocatrice. Rendre l'intemporalité et la globalisation du combat n'était pas évident. L'auteur a fait le choix de couvrir largement les époques tout en se concentrant sur une région donnée. C'est un excellent choix à mon avis, qui écarte le risque d'éparpillement, et on n'a aucune peine à imaginer le conflit à une échelle globale. Géographiquement, l'action reste centrée sur le sud-est de la France et ravira les amoureux de cette région, car les descriptions sont très belles. Un choix qui fait sens compte tenu des origines latines du mythe des Vicoires. Les affinités personnelles de l'auteur n'y sont sans doute pas non plus étrangères : son admiration pour les paysages de la Provence et son histoire est palpable, et c'est peut-être là que réside le secret du charme envoutant de ces récits.

L'écriture est très belle donc, avec un style évocateur mais sachant rester simple, avec une pointe d'érudition quand il le faut. Chaque époque a son atmosphère propre. Surtout, il y a une très grande maitrise de la scène. Les chapitres sont construits autour d'une scène principale, très visuelle, bien amenée et percutante à la fin. Il y a de l'enrobage, parfois avant, parfois après, mais en gros tout tient dans ces scènes isolées, et cela est rendu possible par la forme du roman. Des scènes mémorables, où la suggestion fait tout, comme cette image des deux hommes qui descendent — lentement — le chemin menant à la calanque de Morgiou. Où encore, le curé qui pénètre dans le compartiment du train.


Les époques visitées nous font d'abord remonter le temps (1973, 1932, 1881, 1270...) puis oscillent entre futur et passé en gagnant de l'amplitude. J'ai trouvé le procédé habile, en ce qu'il permet une rentrée dans l'univers en douceur : on découvre l'intrigue et le schéma dans un cadre relativement familier.

Le schéma récurrent (un chapitre, une époque, une Victoire, un combat) pourrait lasser, mais il n'en est rien : l'auteur distille progressivement les éléments de mystère entourant les Victoires, et varie suffisamment les points de vue au cours des chapitres pour maintenir l'intérêt. On aura ainsi, tour à tour, la vision des Victoires, celles des "jouets" de l'Orvet (humains possédés, affectueusement nommés "orvets" par l'intéressé), et celle de l'Orvet lui-même.
L'issue varie également, ce qui tempère quelque peu l'impression de combat inégal.
Les Victoires elles-mêmes, si elles partagent des traits de caractère fort, ont leur caractère propre et ne sont pas exemptes de défauts.

Enfin, chaque histoire est nettement isolée des autres, ce qui pourrait donner l'impression confuse d'un recueil de textes apparentés. Cet aspect est largement compensé par l'unité de lieu choisie par l'auteur, par l'unité de l'Orvet - esprit surpuissant qui traverse les époques, et surtout par la poursuite assidue du but de ce dernier au fil de l'histoire, avec une issue finale en ligne de mire.
Il existe aussi quelques fils ténus (parfois de simples références comme les Métamorphoses, d'Ovide) reliant les histoires les unes aux autres.


Sur le plan des idées, il faut noter que le roman de Bellagamba, en donnant le premier rôle à des femmes particulièrement courageuses, s'accorde bien à notre époque.

Surtout, la figure de l'Orvet — un diable à peine déguisé — offre à l'auteur un levier simple et efficace pour distiller une critique de la nature humaine.
C.S. Lewis utilise le même procédé dans Tactique du diable, mais sous une forme qui m'a laissé de marbre. En effet, la narration, l'intrigue et l'immersion sont inexistantes dans le roman de Lewis. En un mot, le divertissement s'efface au profit exclusif d'une critique de la morale et de la société. Une critique argumentée, ironique et érudite, mais une critique tout de même, exclusivement.
Je ne pense pas que l'approche de Bellagamba soit fondamentalement meilleure, mais elle correspond davantage à mon idéal en la matière : une belle histoire (plusieurs en l'occurrence), un talent de conteur certain, une immersion réussie, le tout au service d'un message. Ce dernier n'atteint sans doute pas les développements et la finesse de celui de Lewis, mais il s'entend aussi bien, voire mieux. En prime, une réflexion tout actuelle sur l'éthique sociale à l'ère des biotechnologies, préfigurant de dix ans les dérives observées lors de la gestion du covid).


Allez, pour finir une petite citation qui m'a fait penser aux Jedi de la guerre des étoiles :)
« Chérie, c'est moi qui ai formé ta mère. Une Victoire très douée, elle était. »
Commenter  J’apprécie          137



Ont apprécié cette critique (13)voir plus




{* *}