Citations sur Les Regrets (24)
Si les larmes servaient de remède au malheur,
Et le pleurer pouvait la tristesse arrêter,
On devrait, Seigneur mien, les larmes acheter,
Et ne se trouverait rien si cher que le pleur.
Mais les pleurs en effet sont de nulle valeur :
Car soit qu'on ne se veuille en pleurant tourmenter,
Ou soit que nuit et jour on veuille lamenter,
On ne peut divertir le cours de la douleur.
Le coeur fait au cerveau cette humeur exhaler,
Et le cerveau la fait par les yeux dévaler,
Mais le mal par les yeux ne s'alambique pas.
De quoi donques nous sert ce fâcheux larmoyer?
De jeter, comme on dit, l'huile sur le foyer,
Et perdre sans profit le repos et repas.
France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau que sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois .
Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois,
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle .
Mais nul,sinon Echo, ne répond à ma voix .
Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine,
Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine
D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau .
Las, tes autres agneaux n'ont faute de pâture,
Ils ne craignent les loups, le vent, ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau .
Cent fois plus qu'à louer on se plaît à médire :
Parce qu’en médisant on dit la vérité,
Et louant, la faveur, ou bien l’autorité
Contre ce qu’on en croit fait bien souvent écrire.
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme celui-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison,
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup d’avantage ?
Plus me plait le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plait l’ardoise fine,
Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur angevine.
Sonnet VIII
Ne t’esbahis Ronsard, la moitié de mon âme,
Si de ton Du Bellay France ne lit plus rien,
Et si aveques l’air du ciel Italien
Il n’a humé l’ardeur qui l’Italie enflamme.
Le saint rayon qui part des beaux yeux de ta dame,
Et la sainte faveur de ton Prince et du mien,
Cela (Ronsard) cela, cela mérite bien
De t’échauffer le cœur d’une si vive flamme.
Mais moi, qui suis absent des rais de mon Soleil,
Comment puis-je sentir échauffement pareil
A celui qui est près de sa flamme divine ?
Les côteaux soleillés de pampre sont couverts,
Mais des Hyperborés les éternels hivers
Ne portent que le froid, la neige, et la bruine.
Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois,
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle.
Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix.
Quelqu'un dira : De quoi servent ces plaintes ?
Comme de l'arbre on voit naître le fruit,
Ainsi les fruits que la douleur produit
Sont les soupirs et les larmes non feintes.
De quelque mal un chacun se lamente,
Mais les moyens de plaindre sont divers :
J'ai, quant à moi, choisi celui des vers
Pour désaigrir l'ennui qui me tourmente.
Et c'est pourquoi d'une douce satire
Entremêlant les épines aux fleurs,
Pour ne fâcher le monde de mes pleurs,
J'apprête ici le plus souvent à rire.
Si les vers ont été l'abus de ma jeunesse,
Les vers seront l'appui de ma vieillesse,
S'ils furent ma folie, ils seront ma raison,
S'ils furent ma blessure, ils seront mon Achille,
S'ils furent mon venin, le scorpion utile,
Qui sera de mon mal la seule guérison.
Paris est en sçavoir une Grece feconde,
Une Rome en grandeur Paris on peult nommer,
Une Asie en richesse on peult estimer,
En rares nouveautez une Afrique seconde. (CXXXVIII)
Je me plains à mes vers si j'ai quelque regret,
Je me ris avec eux, je leur dis mon secret,
Comme étant de mon cœur les plus sûrs secrétaires.