Léo Ferré, une vie d'artiste

***************PAUVRE RUTEBEUF ****************

Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est mort-e
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
Avec le temps qu'arbre défeuille
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n'aille à terre
Avec pauvreté qui m’atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au vent d'hiver
Ne convient pas que je vous raconte
Comment je me suis mis à honte
En quelle manière ......
..........

Les hommes sont des brigands, ils font des lois pour justifier leurs brigandages...

Quand on parle de la guerre des autres, il faut partir et aller la faire. Pour cette raison, je n'ai jamais employé le mot Viêt-nam ou le mot Biafra. En fait, je n'aime pas les gens qui agitent des idées dans les bureaux, sans être des opérants de ces idées. Un jour on est venu pour me faire signer le tract des 121. J'aurais été le 122ème mais j'ai refusé. Les idées généreuses autour d'une table ne sont pas aussi généreuses que cela.

Le journal est un poison où s'exténuent les démocraties. Les journalistes sont des démiurges que démange un prurit de littéraire.

AVEC LE TEMPS ON AIME PLUS :
Sur un plan plus personnel , les problèmes de Léo sont loin de se régler . En janvier 1972 , le tribunal de Paris rend son jugement concernant le divorce demandé en 71 . Débouté et condamné aux entiers dépens . Madeleine , qui refuse de divorcer affirme n'avoir rien à se reprocher ( Elle à raison ) ....... " Même les plus chouette souv'nirs ça t'a une de ces gueules / A la Gal'rie j'Farfouille dans les rayons d'la mort / Le samedi soir quand la tendresse s'en va toute seule .... "
" Si je meurs avant toi je veux que vagabonde / Tu souffles un vent de tous les diables au cul des gens / apprenant notre amour à leur cœur impotent / Et que dieu voyant ça signe la fin du monde / Rappelle-toi mon ange ..... " réclamait Léo dans ce poème intitulé " Madeleine "

On était dix, une table longue et le secrétaire de cellule, c'était un maçon. Je suppose qu'il devait bien faire les maisons parce que pour ce qu'il disait, c'était des conneries.

O ma sœur la violence , nous sommes tes enfants
Les pavés se retournent et poussent en dedans

J'ai l'impression démocratique qui me fait des rougeurs
A l’extrême coté du cœur et des entrailles
J'entends par là mes tripes à la mode de mai

JE VOUS COMMANDE D’ÊTRE BREFS ET COUILLOSIFS

J'ai le sentiment bref de ceux qui vont mourir
Et je ne meurs jamais , à moins que , à moins que
Je sais des assassins qui n'ont pas de victimes
Qui s'en vont faire la queue pour voir le sang d'écran
Et cette pellicule objective qui pellicule sur le vif

Surtout ne pleure pas
Les larmes c'est le vin des couillons

***** LA VIOLENCE ET L'ENNUI ***** , un titre actuel , surtout , affirme Ferré. L'époque est lamentable , grise , flasque , moite .... Les gens se laissent trop avoir . Tout ce qu'on veut leur faire avaler , ils l'avalent ; on les mène par le bout du nez . Ils ne sont pourtant pas bêtes ; mais on leur martèle tant de slogans et de publicité qu'ils finissent par en être imprégnés ..............
Je connais aujourd'hui une sorte de désespérance (.... ) le progrès technique ne servira qu'à mieux vous coincer , à mieux vous mettre en fiches , un artiste qui vit où il veut comme il veut est un privilégié qui n'a pas le droit de parler pour les autres . Mais j'ai fini par me dire : les gens qui viennent t'écouter , ils n'ont pas de tribune , ils n'ont pas de micro , ils n'ont pas le style pour s'exprimer . Fais-le à leur place .( entretien avec Lucien Roux )
Et l'ennui ? " L'ennui c'est abominable , c'est la fin de tout et le début du désespoir . Moi, je ne connais pas , je ne m'ennuie jamais .....Il ne faut jamais se laisser gagner par l'ennui . Si on le sent venir il faut sortir , gueuler , foutre en l'air le pouvoir et les millénaires de morale qu'on nous a collés sur le dos, partir loin ..... s'extirper de cette glue . ( entretien avec Robert Belleret )

Février 80 , sous le titre " Léo ferré ou l’extrême solitude " , le Monde dimanche consacre une pleine page à " l'exilé volontaire " , interviewé chez lui , en Toscane , par Pierre Drachline et André Laude .
On le questionne notamment sur l'amour fou .
- " Les larmes pour rien , comme ça , dans un crépuscule qui fait mine de descendre vers la nuit , pour toi seulement " - , la marginalité - " Ce qu'il y a de gênant dans la marge , c'est tout de même le texte qui vous saute aux yeux " - , ses projets - " Le seul projet que je puisse faire , c'et de mourir ... , " et Ferré enchaîne les pirouettes qui ne sont pas forcément des dérobades .
Une journée dans la vie de Léo Ferré ? ....... " Le dimanche , nous sommes seuls avec les gosses et la personne qui s'occupe du cheval de Marie ( sa deuxième compagne ) , passe , je suppose , sa journée en famille . Cela dit , ce n'est pas Léo Ferré qui donne à manger au cheval de Marie . C'est Léo , le mari de Marie , le papa de Mathieu , de la petite Marie et de Manuella . Je ne " m’assume " pas , je ne me " remets pas en question " , " A la limite ", je mange finalement tous les jours à midi et " finalement " tout va bien .... et vous ? "
Vivons-nous un crépuscule , un déclin ? lui demande-t-on .
- .......... Je peux mettre en marche un magnétophone et écouter des voix qui autrefois étaient perdues à jamais ....
Mais en Argentine , il y a une sorte de fumier qui porte nom Videla et qui torture des mecs et des femmes .
Ce qui est " somptueux " dans ses voix qui me sont rendues est abominable aussi , parce que ces voix m'interdisent d'écouter les cris de ses persécutés dans le monde aujourd'hui .... Où sont ces anges noirs qui vont enfin faire le ménage et nous rendre sur nos magnétophones les " cris " , soudain transmis et fidèles de tous ces " Videla " torturés à leur tour ...... je pense à ça tous les jours .

****************** LES MUSICIENS *****************

Ils traînent leurs violons au-delà des portées
La clarinette au bec , fumant des pastorales
Et la clef sur la table , on les voit s'en aller
Vers les pays là-bas , devant leur vitre sale

Ils dérangent la flûte en y soufflant dessus
Pour mieux voir dans la nuit flâner les violoncelles
Au bras d'une harpiste inquiète et survenue
Juste après qu'un violon l'eut prise en chanterelle

Les ailes du génie à portée de leurs bras
Croyant tout inventer , ils réinventent tout
Debussy à la plume et Schubert dans la voix
Ils s'envolent dans des oiseaux de quatre sous (X 2)

Sur leur papier tout pâle , ils écoutent chanter
Les hasards de la rue et leur pauvre musique
Dans l'ombre de Bayreuth pendant qu'un groupe anglais
Tire inlassablement ses salves électriques (X 2 )

..........
...........

Les portes du destin s'entrouvrant par hasard
Par une clef de sol devenue pathétique
Le choléra de Tchaïkovski sur le boulevard
La rage de Berlioz , comme un chien fantastique (X 2)

Alors , dans leur miroir , ils regardent passer
Les chevaux de Mozart à sa dernière fête
L'oreille de Beethoven en train d'imaginer
Pour la neuvième fois des symphonies muettes (X 2)

Les vitrines de l'avenue
Font un vacarme aux alentours
A faire se lever l'amour
Des fois qu'on l'vendrait au surplus ......
Au surplus .....et chez Mamouth , à Chalons-sur Saone , une jeune fille de quinze ans qui avait volé un soutien-gorge s'est fait prendre par les flics du magasin . " Tu vas chercher ton papa à la maison et nous on garde tes deux petites sœurs " . Elle n'est pas allée chercher son papa , elle est allée se noyer dans le canal .... Mamouth qui écrase les prix .... et les enfants aussi !

Cette petite tragédie en un acte qui s'est jouée en janvier 1978 , abominablement illustrative de la société de consommation , inspirera tellement Ferré qu'il la reprendra dans un texte intitulé " la méthode " :
Au mois de juillet , sous les soleils employés par Monsieur le Président de la Société des biens de Consommation et de production réunies ..... Tu parles ! Et cette môme de quinze ans , en janvier 1978 , dans notre univers de pointeurs à caméras voyeuses , cette môme de quinze ans avec ses deux sœurs plus jeunes , dans un grand Hyper truc , et qui chourave un soutien-gorge , son premier j'imagine , à soutenir des yeux inquisiteurs , fusent-ils de l'ayatola Mon Cul ....Et Ferré de dénoncer " les journaux à qui on a fermé leur tronche typo.... sauf Libération ....Tiens , tiens .....