Citations sur L'espion d'Alger (30)
La langue de mon pays est peu répandue, je l’avoue, et ton accent, permets-moi de te le dire, ne facilitera pas beaucoup les choses. Mais parlons plutôt en anglais, ça sera tellement plus simple.
Tu es attiré par les langues et tu vis dans tes livres où ton esprit aime continuellement s’égarer. Dans quelques années, peut-être, seras-tu encore plus sérieux que lui, poursuivit-il avec un sourire espiègle… Je plaisante, bien entendu ! Ce que je veux dire, c’est que, moi, qui suis différent, je caresse d’autres ambitions. Mes voyages me mèneront sur les traces des grands marchands de ce monde.
Je sais que rien ne sera facile, d’autant que je n’ai jamais mis les pieds sur un navire ; c’est tout juste si j’ai fait de la pêche sur de petites embarcations. Je me demande d’ailleurs si j’ai vraiment le pied marin... Mais est-ce pour autant que je devrais rester sur les quais et vivre continuellement dans mes songes ? Je te rassure, je connais la réponse à cette question que j’ai retournée dans tous les sens. Je te remercie de tes généreuses pensées mais ce n’est pas seulement pour cela que je te parle de mes projets.
L’avenir est dans toute autre chose et si je n’ai aucune expérience dans la marine, j’ai suffisamment écouté les autres pour te dire qu’ici à Alger, les gens ont besoin de nouveautés, de choses qui ne sont pas le fait de simples artisans mais d’une marchandise bien plus élaborée.
Les marchands aiment raconter ce genre d’histoires car ils savent que les clients seront ravis de s’en servir pour introduire leurs présents et relever ainsi leurs actes de courtoisie. Qu’est-ce, après tout, une pièce de métal si ce n’est le travail qui lui confère sa valeur et, plus encore, l’âme et les tourments qui guident les doigts de l’artisan ? Le bijou plut à Ahmed et, cela ne le gênait pas, sa fausse histoire aussi.
Après tout, c’est eux qui ont besoin de nous, pas le contraire. Ils nous vendent des armes et des munitions et arment nos navires, peut-être, mais c’est parce qu’ils ont besoin que nous les protégions contre leurs voisins.
Quand d’autres trouvaient dans une belle œuvre écrite un sens à la vie et bientôt l’ordre secret de l’univers, il était capable quant à lui d’apercevoir une parcelle de paradis dans le tracé d’un jardin et de ressentir la poésie d’un pont suspendu. Faire parler la pierre, cet élément dont nous ne faisons en définitive que nous rapprocher au fil de notre existence, et partager par notre travail son formidable pouvoir de défier le temps, voilà ce qu’était pour lui une des grandeurs des hommes.
Les janissaires sortirent ainsi grands vainqueurs de cette affaire. La disparition d’Hassan Ali Khodja leur permit de faire main basse sur la police, prenant ainsi un ascendant incontestable sur la taïfa des corsaires et les autres castes d’importance à Alger.
Ils avaient désormais les oreilles et les yeux grand ouverts sur toutes les places et les rues, les commerces et le port, les allées et venues des corsaires, les transactions des Tagarins.
Des empoisonnements, il y en a eu, il y en aura. Mais ce qui jetait toute la ville dans la perplexité la plus totale, c’était l’ignorance des raisons qui étaient derrière cet assassinat. Hassan Ali Khodja n’était pas ce qu’on appelle communément un homme de bien.
Selon les versions les plus vraisemblables, Hassan Ali Khodja avait été empoisonné. Le poison était connu pour être l’arbitre ultime des situations inextricables, le recours des grands comploteurs quand aucune autre voie, moins sinistre, ne leur permettait de neutraliser leurs ennemis. Le Mezouar, selon ce que rapportèrent des gens qui disaient tenir cela des hakims qu’on avait fait venir à son chevet, s’était brusquement mis à souffrir de terribles douleurs au ventre peu après son repas du soir.