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Critique de Lencreuse


Bien qu'il ait toujours trouvé la vie de ses parents étriquée, Antoine est devenu ouvrier comme son père. Lorsque son couple vole en éclats, il retourne vivre dans sa chambre d'enfant. A l'usine, ça ne va pas fort non plus : le vent de la délocalisation souffle et le nouvel Eldorado rime pour les patrons avec Brésil. En France, on incite les rats à quitter le navire. le retour à la maison parentale met Antoine face à ses propres errances. Un couple qu'il a tenté de construire avec Karima, un professeur de français, une intellectuelle qui lui reprochait son manque de mots. Pour se sentir à la hauteur, il a bien tenté d'intégrer la lutte ouvrière. Mais même là, Antoine se sent décalé. Comme à huit ans dans la cuisine de ses parents qu'il a tenté de fuir, comme à la fac où il ne savait prendre part aux conversations des autres étudiants. Pourtant depuis toujours, Antoine sent en lui un élan qu'il ne parvient pas expliquer, quelque chose qui lui murmure incidemment que le monde, son monde est ailleurs. C'est en retrouvant Marcel, un vieux bouquiniste, ami de ses parents qu'il va doucement s'ouvrir aux livres, aux mots, à un autre ailleurs. Embarqué avec Marcel au Brésil, il part sur les traces de Jao Monlevade qui a donné son nom à la ville où se trouve aujourd'hui l'usine qui les prive de travail en France. Un départ pour l'autre bout du monde le révèlera à lui-même.
Alors oui, on se dit en lisant Les insurrections régulières, voilà encore un livre qui surfe sur la destruction du travail en France, sur les méchants capitalistes qui délocalisent à tout-va, laissant sur le carreau les bons travailleurs français qui ont donné leur vie à leur entreprise. Et que finalement on n'a peut-être pas envie de retrouver dans les livres les infos plombantes du JT. Mais si Jeanne Benameur part effectivement de cette trame, elle interroge aussi quelque chose de plus profond : les contradictions de la vie ouvrière. le père d'Antoine n'a connu que l'usine et les parents rêvent pour leurs enfants d'une « vie meilleure ». Et Antoine de s'interroger mais « elle vaut quoi alors votre vie à vous ? » Si ces parents ont su s'en contenter, pourquoi pas lui ? Pourquoi le silence du père et déception criante de sa mère lorsqu'il est embauché ? Peut-on rêver toujours mieux en n'agissant pas ?
Les insurrections régulières interrogent aussi en filigrane la lutte des classes : Loïc le frère d'Antoine a réussi, lui, il est instituteur, sa petite amie professeur de lettres. Antoine vit le décalage mais finalement pas celui qu'on croit, pas celui si facile d'être ouvrier en face de gens instruits. Mais le décalage de ceux qui ont vécu dans l'ombre de leurs rêves, de ce qui les prenait aux tripes, de ce qui les anime dans le silence parce qu'ils n'ont jamais oser le dire, parce que ce n'est pas pour eux. Etudiant, Antoine quittait la fac et arpentait, la nuit, les rues, fasciné par l'architecture. Il se noie dans les bouquins d'archi à la bibliothèque et sa rencontre avec le vieux Marcel lui ouvre aussi une nouvelle voie des mots. Ceux qu'il sent bouillir en lui sans jamais pouvoir les exprimer. Lui le taiseux s'entend devenir bavard au fur et à mesure que la distance se creuse entre sa France natale qui lui renvoie ses soi-disant échecs et l'ouverture d'un horizon nouveau, là-bas au Brésil.
La recette est peut-être classique : « je vivote, je lâche tout, je vais loin et hop soudain je me découvre ! » mais elle marche car la langue efficace de Jeanne Benameur empreinte de poésie interroge insidieusement nos choix, les murs que l'on dresse inconsciemment, les carcans dans lesquels on entre plus ou moins confortablement et nos rêves secrets.

Lien : http://lencreuse.over-blog.com
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