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Critique de Mayakrochka


Samuel Benchetrit a décidément le don de se glisser dans la peau de personnages atypiques sinon complètement décalés. C'est à se demander s'il ne l'est pas lui-même, décalé. Déjà, dans le "Coeur en dehors", il parvient à faire parler un gosse d'immigrés, qui dépeint la société dans laquelle il évolue, cette société qui lui enlève sa mère parce qu'elle n'est pas en possession de ce petit bout de plastique sur lequel figure ce qu'on appelle son identité. C'est toute la naïveté de ce petit gamin attachant qui nous attendrit et nous révolte, parce qu'avec son petit vocabulaire de jeune garçon « des cités », on comprend que l'injustice n'a pas une once de pitié pour l'innocence. Avec une lucidité naïve, le petit Charlie décrit son monde de violence quotidienne, et le transforme en un endroit où il fait bon vivre, un monde de possibilités et de découvertes.

Dans "Chien", l'auteur nous propose une nouvelle vision du monde, cette fois, non à travers les yeux d'un mouflet, mais d'un.... homme... ou bien d'un chien, on ne sait pas. Est-ce important ? La nuance est tellement subtile.

Jacques Blanchot a tout pour déplaire : c'est l'incarnation-même de la médiocrité. Que dis-je ? de la nullité. Sa femme ne le supporte plus, à tel point qu'elle en perd ses cheveux et en attrape des boutons. Son fils ne l'aime pas particulièrement. Il n'a aucune conviction, aucune ambition, sans doute aucune conversation, à en juger par la faible teneur en pertinence de ses réflexions. On suppose qu'en plus, il est moche. Il déclare lui-même, en repensant à ceux qui lui reprochent son manque d'imagination, être né sans personnalité, comme l'on peut naître sans bras, ou sans jambe. Lui est venu au monde sans âme. Il est du genre à se faire avoir par le premier mercantile qui tente de lui sucer son fric jusqu'au sang, et à contracter un crédit à 7% de taux d'intérêts sur trente ans. Bref, c'est un couillon ordinaire qui a parfaitement sa place dans ce monde.

Et pourtant. Commence sa rapide et quasi-imperceptible transformation à partir du jour où sa femme le jette hors de sa propre maison tant ses démangeaisons deviennent insupportables, et où, sans savoir pourquoi, il achète un chien, comme ça. Un chien dont la laideur lui fait penser à Hitler, mais pour lequel il investit la quasi-totalité de son salaire. Plusieurs centaines d'euros qui finissent sous les pneus du bus, à peine sortis de l'animalerie. La mort du petit chiot tombe mal, le voilà bien emmerdé, lui qui a payé des leçons de dressage. 50 euros la leçons, à ce prix-là, il faut bien y aller. Tant pis, il ira, et c'est lui qui fera le chien, puisque de toute façon, il n'est pas sûr d'être un homme. Tous les samedis, il endosse donc sa parure de chien, à savoir son collier et sa laisse, et joue son rôle de chien, qui ne diffère pas tellement de son rôle d'homme. Progressivement, il commence à penser comme un chien, à adopter la logique canine, qui, finalement, ressemble drôlement à la logique humaine. Ce, pour devenir, petit à petit, Chien, le fidèle compagnon du dresseur, le meilleur ami de Paco et le prétendant de Dina, deux chiens qu'il a rencontrés à l'animalerie, chez son nouveau maître. Alors, pour la première fois de sa vie, il se sent investi d'une ambitieuse mission : s'échapper de l'animalerie et vivre avec ses deux nouveaux compagnons dans la nature, loin de ces êtres humains qui se conduisent comme des chiens.

D'un mot à l'autre, tout d'abord, face à l'absurdité de la situation, on rit aux éclats. Et puis, tandis que l'absurde s'installe, il perd de son étrangeté, il en devient la norme. Alors on s'y habitue, et il ne fait plus rire. Il devient presque angoissant. C'est tout plein de cynisme sur la condition humaine moderne. Ce qui concorde parfaitement avec cette ambiance chienne : cynisme ne dérive-t-il pas du terme grec "kyon", qui signifie "chien" ? C'est bien pensé. Benchetrit, voilà un écrivain qui a du chien !
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