"Tolstoï conte qu’étant officier et voyant, lors d’une marche, un de ses collègues frapper un homme qui s’écartait du rang, il lui dit : « N’êtes-vous pas honteux de traiter ainsi un de vos semblables ? Vous n’avez donc pas lu l’Evangile ? » A quoi l’autre répondit : « Vous n’avez donc pas lu les règlements militaires ? »
Cette réponse est celle que s’attirera toujours le spirituel qui veut régir le temporel. Elle me paraît fort sage. Ceux qui conduisent les hommes à la conquête des choses n’ont que faire de la justice et de la charité.
Toutefois, il me semble important qu’il existe des hommes, même si on les bafoue, qui convient leurs semblables à d’autres religions qu’à celle du temporel. Or, ceux qui avaient la charge de ce rôle, et que j’appelle les clercs, non seulement ne le tiennent plus, mais tiennent le rôle contraire."
La civilisation telle que je l'entends ici - la primauté morale conférée au culte du spirituel et au sentiment de l'universel - m'apparaît dans le développement de l'homme, comme un accident heureux. (p.288-289).
Ce dogme selon lequel l'histoire obéit à des lois scientifiques est surtout prêché par des partisans de l'autorité, chose naturelle puisqu'il élimine les deux réalités qu'ils ont le plus en horreur: la liberté humaine et l'action historique de l'individu. (p.320).
La loi du clerc est, quand l'univers entier s'agenouille devant l'injuste devenu maître du monde, de rester debout et de lui opposer la conscience humaine.
Les hommes dont la fonction est de défendre les valeurs éternelles et désintéressées, comme la justice et la raison, et que j'appelle les clercs, ont trahi cette fonction au profit d'intérêts pratiques. (p.49).
[...] à moins d’appeler pensée tout ce qui s’imprime, je ne vois pas ce que la
pensée a perdu par la disparition d’un Maurras ou d’un Brasillach. Il ne faudrait pourtant pas prendre pour de la pensée l’art de jongler avec les sophismes comme Robert-Houdin avec ses gobelets ou le simple talent littéraire.
Les apôtres de l’ordre tiennent couramment que c’est eux qui incarnent la raison, voire l’esprit scientifique, parce que c’est eux qui respectent les différences réelles qui existent entre les hommes ; réalité que la démocratie viole cyniquement avec son romantique égalitarisme.
La paix, faut-il le redire après tant d'autres, n'est possible que si l'homme cesse de mettre so bonheur dans la possession des biens "qui ne se partagent pas", et s'il s'élève à l'adoption d'un principe abstrait et supérieur à ses égoïsmes ; en d'autres termes, elle ne peut être obtenue que par une amélioration de sa moralité.
Je tiens à préciser que je n'attaque pas le clerc qui adhère au mouvement communiste si j'envisage ce mouvement dans sa fin, qui est l'émancipation du travailleur ; cette fin est un état de justice et le clerc est pleinement dans son rôle en la souhaitant. Je l'attaque parce qu'il glorifie les moyens que le mouvement emploie pour atteindre à cette fin ; moyens de violence, qui ne peut être que de violence, mais que le clerc doit accepter avec tristesse et non avec enthousiasme, quand ce n'est pas avec religion. Je l'en attaque d'autant plus que souvent il exalte ces moyens, non pas en raison de leur fin, mais en eux-mêmes, par exemple la suppression de la liberté, le mépris de la vérité ; en quoi il adopte alors un système de valeurs identique à celui de l'anticlerc.
L'humanité, par sa pratique actuelle des passions politiques, exprime qu'elle devient plus réaliste, plus exclusivement réaliste,et plus religieusement qu'elle ne l'a jamais été. (p.163).