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Critique de jyrille


MEKA est une série finie en deux tomes de 46 planches chacun. Elle a été publiée entre 2004 et 2005.

Quelle est votre héroïne de BD préférée ? C'est ainsi, via ce tournoi des filles, que je découvris Nävis, la meilleure représentante des créations de Jean-David Morvan. Alors qu'il me manque (et c'est toujours le cas) beaucoup trop de tomes de VALERIAN, je décidai de me mettre à SILLAGE, puis de suivre JD Morvan dans sa pléthorique collection de scénarios. Je n'ai quasiment jamais été déçu, car il est presque impossible de lire toute la production de ce dernier : il faut donc choisir selon le thème, le dessinateur, ou les deux.

MEKA rassemble donc notre Otomo national et un jeune dessinateur qui signe ici sa première histoire complète, Bengal. La guerre est au premier plan de cette courte histoire de science-fiction. Les armées du Levant affrontent celles du Couchant dans toute la galaxie, sur toutes les planètes.
Nous suivons la caporale Ninia Onoo et son lieutenant Enrique Llamas de l'armée du Levant. Ce sont les deux membres d'un Meka, un grand robot de combat tel que nous les connaissons dans les oeuvres de fiction que sont GOLDORAK, PATLABOR, EVANGELION ou PACIFIC RIM (et une pelletée d'autres). Fortement influencé par le manga, oeuvrant dans tous les styles (jeunesse, drame, heroïc fantasy, humour, SF…) et tous les formats (franco-belge, comics, mangas, strips, gags en une planche…), Morvan écrit un univers familier mais inédit, déjà très moderne : les Mekas suivent les mouvements de son pilote, sont prévus pour s'autodétruire une fois hors service, possèdent un design élancé et épuré plutôt qu'une accumulation de câbles et de boutons.

Car fort d'une personnalité déjà très marquée, le trait de Bengal s'appuie sur un mouvement constant, que ce soit entre les cases ou qu'au coeur même de celles-ci. Ce dynamisme à tout prix empêche parfois l'identification d'éléments importants, comme les visages ou certains décors, ce qui peut faire sortir de l'histoire ou de la lecture. de la même façon, le nombre de cases assez conséquent oblige le lecteur à être plus attentif, la narration n'étant pas toujours très claire dans le déroulement des actions.

Ces partis-pris suivent sans doute la direction de Morvan, qui n'a pas uniquement bâti son histoire sur une SF moderne et les autres histoires de mecha. Il intègre des problématiques qui ont encore cours : le mélange des genres, de nationalités, d'ethnies, les oppositions entre deux idéologies vraisemblablement antinomiques, les statuts sociaux…
Pour cela, il coupe tout en deux : une femme et un homme, deux armées, deux tomes, le premier étant sous-titré INSIDE et le second OUTSIDE. Alors que INSIDE est quasiment muet, ou disons qu'on y trouve très peu de dialogues, OUTSIDE n'en manque pas sans être du Claremont ou du Edgar P. Jacobs.

Je me souviens d'une interview de l'auteur lors de la sortie d'un tome de SILLAGE. On y voyait une scène très politique où, un peu comme dans la prélogie de Star Wars, une grande assemblée prenait des décisions drastiques pour toute la colonie. Morvan disait qu'il écrivait aussi pour comprendre notre monde réel, décortiquer les mécanismes de nos conflits et de nos comportements. C'est exactement ce qu'il fait dans MEKA : chaque camp, qu'il soit masculin ou féminin, militaire ou civil, voleur ou protecteur, ouvrier ou nanti, s'exprime. Se gardant bien de donner des réponses, Morvan expose les arguments de toutes et tous avec une sincère compréhension, sans prendre parti ni juger.

Dans INSIDE, le dessin de Bengal prend les rênes du scénario. Celui-ci délivrant très peu de texte, l'histoire ne repose pratiquement que sur la narration. le premier tome comporte des planches ne comptant que quelques grandes cases, sans dialogue, afin de poser le décor de l'action ainsi que les personnages et les Mekas. Lorsqu'il s'agit de survie, et donc de choix pris dans l'action, lorsque l'intellect n'a plus le temps et que seule la réaction immédiate décidera de la suite des évènements, les cases se multiplient. de plus, l'histoire étant très linéaire et rapide, ne se déroulant que sur quelques jours, les personnages représentent des archétypes, ils ne sont ni spécialement attachants ni fortement caractérisés. Bengal fait donc le choix de dessiner des visages basiques, sans traits remarquables, mais sans les priver de réactions : la peur, la colère, l'étonnement, la résignation sont tous présents à différents moments, retranscrits par des effets exagérés sans être disproportionnés. Comme le disait Lone Sloane dans les commentaires de cet article inoxydable, on peut se demander si la forme n'est pas le fond du récit.

Dans OUTSIDE, le mouvement est toujours présent, mais beaucoup moins prégnant. Débarrassés de leur protection gigantesque, Oono et Llamas se retrouvent à hauteur d'humain, et s'aperçoivent de la réalité du champ de bataille. Morvan semble utiliser les Mekas comme des métaphores des carapaces et des masques que porte tout un chacun lorsqu'il se confronte à ses semblables. Ils n'ont plus d'autres choix que de s'exprimer, de débattre et de faire des choix, sans bien sûr trouver de solution satisfaisante pour toutes et tous.

Bengal s'occupe également de la couleur, et l'on peut dire qu'elle n'est jamais incongrue ou étonnante. Les ciels sont splendides, la nuit, jamais totalement noire, n'a pourtant rien de rassurant, et les costumes sont très fonctionnels. Il y a une teinte générale qui semble prédominer presque tout du long : le violet pastel. Il lisse l'univers de MEKA et adoucit les horreurs de la guerre.

Détournant les codes du mecha pour en faire une énième réflexion sur la guerre et les credos de chacun, Morvan et Bengal fournissent un diptyque qui n'a – à ma connaissance – aucune concurrence tant le ton utilisé, la construction du récit et le déroulement de l'histoire sont originaux et inattendus. Avec des dessins aussi personnels, elle fait partie de mes bandes dessinées toujours agréables à relire sans s'en lasser.
Lien : http://www.brucetringale.com..
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