Le train pour Amiens était à huit heures. Barbet quitta sa femme très tôt. Mais elle avait tenu à se lever pour vérifier tout dans la valise, elle-même.
— J’ai mis dans la pochette ton manuel de conversation.
Il dit :
— Donne-le dans mon pardessus.
— Ton Shakespeare est entre les chemises.
Il dit :
— Donne aussi ; je veux lire en wagon.
— Maintenant, tes pilules antinausiques, tu les as dans ton veston.
Il dit :
— Je vais les fourrer dans la valise. Au front, je n’en ai nul besoin ; je les prendrai à Boulogne, en m’embarquant.
— Et surtout, ajouta-t-elle, ne te fais pas torpiller !
Il ouvrait la porte.
— Il n’y a aucun danger.
— Ah ! lit-elle, tu m’as rapporté, il y a trois jours, une telle liste de catastrophes !
— J’ai eu des explications. Des bateaux de voyageurs, les Boches s’en fichent ! Ce n’est que par accident qu’ils coulent un bateau de voyageurs. Ce qu’ils veulent précipiter au fond de l’eau, c’est la farine, le sucre… Je ne suis pas en sucre…
— Heureusement ! Au revoir, mon chéri. Regarde de tous tes yeux, et rapporte-nous des impressions merveilleuses… Ce que tout le monde va bisquer ! Au revoir ! Écris-moi. Va-t’en vite !
Il descendit ses étages avec allégresse. Il était à la fois énervé et important, les poches bourrées de passeports et de laissez-passer. À la gare, il ne demanda pas un billet ; il eut l’air d’ordonner :
— Première Amiens. Mission officielle.
La buraliste fit simplement :
— Vos pièces, monsieur.
Il se dressa :
— Je vous dis : mission officielle.
— Officielle ou non, monsieur, je dois vous demander vos pièces.